Comtés dans le monde et Vins

D’abord, la loi imposée par la nature : tout fromage s’accorde avec le vin de sa région. Et réciproquement. Ne coupons pas les cheveux en quatre : les vins du Jura et son cépage flamboyant, le savagnin, sont les vedettes privilégiées.

Dans nos verres

On commencera par des bouteilles du premier niveau quand le savagnin s’associe selon le souhait du vigneron à quelques pour cents de chardonnay. Ce sont des vins bon marché de l’ordre d’une dizaine d’euros. Le choix est vaste entre les appellations, la régionale Côtes du Jura, les communales Arbois et Etoile.

En revanche, si on s’offre les délices promises par un Comté de long affinage, découvrons le septième ciel versé d’un vin jaune ou le paradis né d’un Château Chalon.

Fromager à Louhans

Un blanc s’impose répond Julien Liberge, fort bon fromager à Louhans (Saône et Loire) qui travaille avec un seul affineur, Seigne à Nantua. Il recommande sans la moindre hésitation un blanc, alors qu’il y a une trentaine d’années la mode le portait à recommander un rouge, car « les blancs de cette époque étaient trop acides. »

Au temps de la cohabitation du Gruyère et du Comté

Survient un obstacle imprévu, un hic notoire : on dégote plus aisément un vieux Comté sur un marché de Palavas-Les-Flots que le flacon ci-devant conseillé. A défaut de cave personnelle, on se dirigera vers d’autres vins de l’hexagone.

Avis éclairé

J’ai posé la question à un amateur compétent et dégustateur passionné. Ses vins? Evidemment un savagnin, mais sans que ce soit nécessairement un vin jaune. Un vieux Château Chalon, certes superbe risque d’écraser la finesse du Comté.

Rien n’arrête notre ami. Il nous entraîne dans la Marne et suggère un champagne non dosé, aux légères pointes d’oxydation. Il cite Selosse, Jacquesson ou un blanc de blancs dégorgé depuis quelques années, sans citer de nom.

Antony

J’ai fait la connaissance d’un fromager présentant son produit comme s’il s’agissait d’un objet d’une rare beauté, une œuvre d’art en somme. C’était il y a du temps de l’autre siècle, lors de Vinexpo. Une dizaine de vignerons réputés et non des moindres participaient avec leurs vins à un dîner offert à quelque quatre cents invités au Domaine de Chevalier. Je ne me souviens plus des superbes bouteilles ouvertes sans modération pour accompagner le repas, mais après la grosse pièce dénommée plat de résistance, vint le moment fromage. Le bonhomme, comme je l’appris plus tard était un Alsacien du nom de Bernard Antony, fromager et se définissait lui-même, éleveur de fromage.J’ai découvert ce soir-là un Comté d’une quarantaine de mois, si pas davantage. Une pièce rare, exceptionnelle, un choc.

Bernard Antony a passé la main à son fils Jean-François, qui poursuit la tradition. Il donne le choix entre quatre assortiments, du Jeune de 24 mois, du Reserve (18 à 30 mois), de la Grande Garde (30 à 36 mois), de l’Exceptionnel (36 à 48 mois). Installé à Vieux Ferrette dans le Haut-Rhin, ce quadragénaire se montre intraitable dans ses choix, travaille avec cinq fruitières souvent mais pas toujours les mêmes, les fait vieillir au Fort Saint-Antoine dans le Jura qu’il décrit comme La Mecque du fromage, suit leur évolution, sonde après sonde, attend patiemment qu’un acide aminé, la tyrosine, cristallise, donne à sa meule de vieux fromage, cette « vue imprenable » et ce goût spécifique qui suggère le sel. Derniers détails de cet intégriste de la qualité fromagère, il sélectionne des fromages au lait d’automne car, assure-t-il, le regain assure une herbe plus riche, plus concentrée. Oenophile, le fromager ajoute aux choix vineux attendus un Pinot Gris alsacien de bonne garde, bien sec.

Comment s’étonner si la maison Antony expédie ses perles aux particuliers inconditionnels comme aux chefs tri-étoilés.

L’expérience Bollinger

J’avais été invité par cette belle marque à la présentation de leur Grande Année 2004, à l’heure du thé, ce qui n’est certainement pas un inconvénient. En attendant la présentation, le thé avait le bienheureux goût du Special Cuvée de la marque. On attendait patiemment la présentation sans se plaindre. Elle vint et on nous servit le grand vin tandis que des plateaux de fromage étaient proposés par les serveurs. L’un d’eux me dit que c’était du Comté. Je refusai de compromettre le 2004. J’en fis le reproche à Jérôme Philipon, alors directeur de la marque, lors d’un déplacement à Aÿ. Il me donna raison car le Comté servi était de long affinage, ce qui n’avait pas été précisé lors du service.

Charles-Armand de Belenet, l’actuel directeur m’a donné le fin mot sur les fiançailles Grande Année et « Grand » Comté. Les équipes de marketing et de dégustation ont cherché bon nombre de comtés à la demande de Gilles Descôtes, le chef de cave et gastronome de plaisir. Régulièrement sortait du lot le Comté d’un Alsacien, Bernard Antony! Les deux hommes se sont rencontrés, tombés d’accord sur le 36 mois, qui a accompagné la Grande Année 2004. Les fidèles de la Grande Année tenteront l’essai sur le 2012, disponible. Bollinger ne se veut pas exclusif, d’autres fromages sont tolérés, pourvu qu’ils se montrent dignes du vin.

A l’étranger

Avec ses 27%, la Belgique est le premier pays importateur. Ce fromage est omniprésent sur les marchés. Surtout des jeunes, rarement plus de douze mois. Pour apprécier la substantifique moelle, cherchez un spécialiste. A Bruxelles, je me rends chez Julien Hazard, fromager-affineur qui a le Comté dans ses veines. Pour ses choix, il n’y va pas avec le dos de la sonde, se rend dans le Jura, chez deux affineurs, jurassiens reconnus et réputés qui ont des caves énormes, comme celle du Fort Saint-Antoine (Doubs) et chez Arnaud, au Fort des Rousses (Jura). J’ignore le nombre de fruitières qui y font héberger leurs meules. Des tonnes assurément. De là, après dégustation en compagnie du chef de cave, Julien Hazard visite les fruitières qui ont retenu l’attention de son odorat et de son goût pour expliquer les saveurs qu’il aimerait retrouver ultérieurement dans sa boutique. Il dit se détourner des saveurs animales et végétales pour privilégier les fruits confits, les noisettes, de délicates odeurs de torréfaction.

Un beau 30 mois

C’est ainsi qu’on commande chez lui, à niveau gastronomique, quatre variétés de comtés, aux saveurs distinctes, ce qui semble logique puisqu’on peut hésiter entre ceux présentés comme « Jeunes » de 18 mois, « Reserve » de 18 à 24 mois, « Prestige » 24-36 mois, « Extra » à plus de 36 mois. Les prix sont en conséquence, sans être excessifs. Ses préférences vineuses se portent davantage sur des chardonnays du Jura sur les fromages jeunes. Un original Côtes du Jura savagnin « voile » sur les « vieux » Comtés.

En troisième place du podium, derrière l’Allemagne, le Comté est très présent en Angleterre. D’une part dans de grandes chaînes comme Tesco ou Waitrose. Cette marque propose un 24 mois nommé Special Reserve , mention superflue qui ne nous empêchera pas de dormir. En revanche les néophytes seront séduits, on l’espère, par la l’ajoute « à partir du lait d’une vache non pasteurisé. »

Parmi d’autres, mais avec son âge

A ceux qui estiment que la vie en Angleterre est plus que très coûteuse, le prix affiché avant la sortie de l’UE, est tentant, à 22£ soit 25 euros. De quoi s’offrir du Comté dès le petit déjeuner sur une tasse de thé, « of course. » Une enquête du Cigc montre que les consommateurs gourmets préfèrent les « vieux » car selon eux « ils supposent que plus c’est vieux, c’est mieux. » Le thé a souvent droit de cité et aime remplacer le vin.

Ex-æquo sur le podium avec l’Angleterre, les États-Unis. Beau choix à New-York chez Zabar, un magasin spécialisé. Le mention annoncée tient de la fantaisie non condamnable et le Comté est de fort bonne facture me signale une ami franco-américain, James M., qui l’achète surtout pour accompagner ses bourbons dont il est un passionné dégustateur. 

« Je n’ai jamais trouvé meilleur compagnon pour mon whisky ! » Ce fromage français de 18 mois s’offre à 20,59$ soit vingt-cinq euros. Le Comté sait s’exporter !…

 L’International Space Station s’est offert du Comté en février 2017, après un parcours qui a commencé à La Plasne dans le Jura. Des morceaux ont été envoyés à Toulouse pour des tests à l’European Space Agency et à la Nasa Food Lab ; de là après un agrément sanitaire général, les morceaux ont été expédiés de la base russe de Baikonour pour aboutir, enfin, à destination. L’astronaute jurassien Thomas Pesquet a célébré les quatre morceaux de 250g de 6 à 12 mois, avec ses collègues de cabine, un Russe et un Américain !

Rien n’arrête le Comté!

Jo GRYN
Ps (pour Petit Supplément)

Un lecteur ma demandé, en regardant la photo du petit môme figurant sur l’affiche ancienne publiée dans le précédent article ce qu’il advient de l’expression « Gruyère de Comté. » Le Cigc m’apporte les éléments de réponse suivants :

1976 : Le cahier des charges donne les deux dénominations.

1986 : Simplification des responsables franc-comtois : seul le mot de Comté est admis !

Ensuite : Le mot Gruyère continue à être utilisé pour l’exportation, car seul ce terme de Gruyère est répertorié dans les codes douaniers !

2013 : Le Gruyère (français) obtient son Igp. L’ambiguïté disparaît.

2 réflexions sur « Comtés dans le monde et Vins »

  1. Ah, ce petit supplément et son croquant petit môme me rappelle cet emballage de cassonade Graeffe de mon enfance, déjà le goût du goût et du packaging. On ne se refait pas. Merci Jo pour ce post appétissant. Encore !!!

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