Cendriers d’Histoire

Quelques cendriers appartiennent à l’Histoire de la gastronomie

Les Origines

Des cuisiniers se sont fait un nom dès le dix-neuvième siècle. Ils ont profité de l’invention du cendrier originellement conçu, comme son nom le laisse entendre, à recueillir des cendres. Les cigarettes ont suivi pour les utiliser et faciliter la vie des fumeurs à table ! Puis, plus tard, ces chefs ont voulu se distinguer en ayant recours à leur imagination créative en se faisant élaborer des cendriers à leur nom. Certains se sont même tournés vers des faïenceries réputées, d’autres faisant appel à un artiste ou un artisan, bien avant l’apparition des tables étoilées. Les plus belles tables ont connu leurs heures de gloire et l’effet mode ne voulant pas se trouver en reste a fait accourir la clientèle des suiveurs. Les cendriers les attendaient. Ils méritent qu’on les mette à l’honneur, tant ils reflètent une époque, la leur, dès leurs débuts jusqu’à l’acmé de leur célébrité.

Petites Histoires en Images

Partis d’un simple gadget publicitaire, des chefs se sont distingués en ayant recours à leur imagination créative, faisant appel à un artiste ou à un artisan pour se distinguer, se faire plaisir, laisser un souvenir. Certains, comme on l’a vu, se sont tournés vers des faïenceries réputées.

BOCUSE

Monsieur Paul, comme on le surnommait était un chef hors du commun, une célébrité mondiale. Il s’est battu pour que les cuisiniers sortent de leur anonymat, confinés qu’ils étaient dans leur cuisine. Il possédait, peut-être sans le savoir, un sens énorme du marketing, de la répartie. Les initiés connaissent la réponse qu’il fit à un journaliste qui lui demandait qui cuisine chez lui quand il n’est pas là, ce qui lui arrivait de temps à autre, surtout quand il allait faire  briller sa cuisine et la cuisine française au loin. Il répondit ; « ce sont les mêmes qui la font quand je suis là ! »

J’ai rencontré le Bressan Jean Fleury au mitan des années 1970 comme jeune chef au Hilton de Bruxelles. Il repartit en France, devint Meilleur Ouvrier de France en 1979, alla travailler chez Bocuse dont il devint le bras droit en 1985 ! Il m’a raconté cette anecdote que je n’ai jamais lue ou entendue ailleurs, relative à la Brasserie qu’il avait envie d’ouvrir à Lyon et à laquelle il souhaitait associer Monsieur Paul. Ce dernier, dubitatif, déclina l’association mais n’eut aucune objection à ce que son bras droit réalise sa brasserie tout en lui restant fidèle. Jean Fleury avait prévu un cocktail pour l’ouverture de son grand bistrot et invita un monde fou. Paul Bocuse avait réservé sa réponse, finit par lui promettre de venir. Sur place, il prit la parole comme s’il était à la source de cette création. Le lendemain les journaux parlèrent de la brasserie Bocuse. Le succès fut quasiment instantané. Tel que Fleury en ouvrit trois autres. Les quatre portent le nom des points cardinaux. A ce jour, leur succès ne s’est jamais démenti !

CHEZ ALLARD

Bistrot à vin au début du vingtième siècle, il cède la place en 1932 au couple Allard et devient à la mode grâce à la cuisine de Marthe Allard. Il aurait pu tout aussi bien s’appeler Chez Marthe, encore qu’il eut fallu à nouveau changer le nom de l’enseigne lorsque sa belle-fille Fernande prit le relais. Ce fut, avant la lettre et le nom prisé actuellement un restaurant brasserie bistronomique, à cuisine teintée de régionalisme qui perdura jusqu’en 1985.

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Ce joli cendrier au décor de fleurs témoigne de son époque. Il a été repris il y a dix ans par Alain Ducasse et est (re)parti sous le nom de Allard vers des lendemains heureux.

CLOSERIE DES LILAS (La)

Sans aucun doute, moins connu pour ses ambitions gastronomiques, ce restaurant de Montparnasse se targue d’avoir reçu aux 19e et 20e siècles des clients fidèles de tous les milieux.

En littérature : Apollinaire, Aragon, Baudelaire, Eluard, Jarry, Sartre, Verlaine, Zola…

Ecrivains anglo-saxons : Beckett, Hemingway, Miller, Scott Fitzgerald, Wilde…

Politique : Lenine

Peintres ; Cézanne, Man Ray, Modigliani, Monet, Picasso, Renoir, Sisley, Van Dongen…

Qui dit mieux ?

DROUANT

Créé en 1880 il est resté dans la famille éponyme jusqu’en 1976. Il a gardé son nom, restant le QG du prix Goncourt dès 1914 et du Renaudot en 1926. Il a vu se succéder de nombreux propriétaires, appartient depuis quatre ans à la famille Gardinier, ancien propriétaire du Château Phélan-Ségur à Saint-Estèphe.

Le cendrier fier de sa date de création, ne dit pas un mot sur le salon privé, siège mensuel où se réunissent, une fois par mois, les jurés du fameux prix littéraire. En tout cas, avec ou sans étoile, le prestige du restaurant est resté celui qu’il connaît depuis sa naissance comme bar tabac.

GAVROCHE (Le)
THE WATERSIDE INN

On doit ce grand cendrier, made in England, aux frères Albert et Michel Roux. Deux Français expatriés en Angleterre et qui ont quasiment fait exploser la gastronomie dans leurs deux restaurants. Leur pays d’adoption leur doit d’avoir fondé une école, formé des dizaines, voire des centaines de futurs chefs dont Gordon Ramsey. Ils ont modifié le paysage gastronomique de l’Angleterre

Leur premier restaurant est le Gavroche, une enseigne sans prétention. Les deux cuisiniers n’étaient pas des gamins et leur restaurant fut le premier établissement anglais à recevoir une troisième étoile. Le deuxième, The Waterside Inn dont le nom figure sur la face postérieure du cendrier, est situé dans le vieux et merveilleux village de Bray. La suite est assurée par leur descendance : le guide Michelin 2022 garde le Gavroche à deux macarons, tandis que le Waterside Inn figure parmi les huit tri-étoilés du pays 

LAMAZERE

Roger Lamazère ouvrit son restaurant à Paris en 1956. Jean-Claude Ribaut écrivit à sa mort, en 2000, dans Le Monde que « dans ce restaurant de spécialité du Sud-Ouest…on croisait le Tout-Paris…André Malraux venait y déguster le fameux cassoulet qui fit la gloire de l’établissement. »

Originalité du cendrier avec ce cochon truffier. Le Rabassier, mot du Sud-Ouest, est un chercheur de truffes ou caveur. L’expression indique l’homme, pas l’animal. Comme chercheur, on préfère généralement le chien à la truie.

LUCAS CARTON

Je n’ai pas connu Alain Senderens du temps où il cuisinait à L’Archestrate, enseigne donnée en hommage à cet auteur grec considéré comme l’auteur du premier livre de cuisine, 400 ans avant J.-C.  Notre chef se lança en 1968 et glana sa troisième étoile en 1978.

Devenu une des têtes pensantes de la nouvelle cuisine, il emménagea au Lucas Carton, restaurant tri-étoilé et modifia son approche de la gastronomie à la suite de sa rencontre avec l’oenologue Jacques Puisais, président de l’Académie du Goût. C’est au départ de la dégustation de grands vins qu’il partit à la création de plats d’accompagnement pour chaque bouteille. Sa clientèle apprécia ce caractère innovant et son restaurant garda ses trois étoiles. Le chef les rendit à Michelin en 1985, pour un établissement « plus simple », nommé Senderens auréolé de deux étoiles. Cet intellectuel de la gastronomie et des grands vins, membre de l’Académie Internationale du Vin (AIV) est mort en 2017.

PERE BISE (Le)

Un monument de l’autre siècle et à plus d’un titre. Le premier vient de ce que le restaurant créé en 1903 acquit une troisième étoile en 1951 lorsque Marguerite, la fille du fondateur, 

était la responsable des fourneaux. On pouvait compter sur les phalanges d’un doigt le nombre de femmes à la tête d’un restaurant.

En 2016 le restaurant fut repris par un chef doublement étoilé qui redonna vie à la vieille auberge à nouveau sur les rails de la renommée. Enfin le cendrier qui rappelle que l’on se trouve en bordure du lac d’Annecy est décrit, au verso, comme décor main, en exclusivité Chomette-Favor.

PYRAMIDE (La)

Fernand Poin : un personnage illustre dans la galaxie gastronomique française. Les photos le montrent avec un sérieux embonpoint. Il fit partie de la première fournée des chefs tri-étoilés en 1933. Dans sa légende, on raconte qu’il refusa à un client de servir une viande à point. Il mourut en 1955 et sa veuve, Mado Point, conserva les trois étoiles jusqu’à sa disparition en 1986. Il reçut le gotha entier de la Jet Society de l’époque, têtes couronnées incluses. Ajoutons qu’il eut comme élève Bocuse, les frères Troisgros, Alain Chapel, Louis Outhier, tous devenus tri-étoilés.

La succession fut rapidement assurée par Patrick Henriroux, aujourd’hui doublement étoilé.

TRAIN BLEU (Le)

Au départ, en 1866, il s’agit d’un train de luxe reliant Calais à Menton. Il prit, plus tard, le nom du restaurant du buffet de la gare de Paris-gare-de-Lyon.

Cet établissement de style néo-baroque et de la Belle Epoque fut sauvé de la destruction par André Malraux et classé monument historique. On ne détruira donc pas  ce restaurant-monument  au décor majestueux, au mobilier d’apparat, toujours en activité.

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LEON DE LYON

Pour conclure, le plus beau cendrier de la collection. On se rend à Lyon, capitale de la gastronomie. Y cuisinent Bocuse, les cuisinières de jadis qu’on appelait les mères lyonnaises, les fameux bistrots surnommés les bouchons. Et Jean-Paul Lacombe.

Il reprend à 22 ans le restaurant étoilé de son père, Léon de Lyon. Gagne six ans plus tard, en 1978, une deuxième étoile. Pendant ses années de haute gastronomie, il demande à un artisan de créer une série de cendriers en métal argenté, tous différents. Celui-ci, représente un jeune serveur en gilet qui s’apprête a déposer une assiette sous cloche. Il porte sur sa tête un repose boîte d’allumettes. Sur un petit socle circulaire sont inscrits les mots restaurant Léon de Lyon. Sur la face inférieure, sont gravés les mots Jean-Paul Diffusion.

Le chef rend ses étoiles en 2007 pour se consacrer à une cuisine de qualité davantage bistrotière. Qu’est devenue sa belle série de cendriers ?

Paix et repos dans les fonds d’armoires et greniers aux cendriers de restaurants, ultimes témoins vivaces de l’époque où les fumées envahissaient les salles.

Jo GRYN

Collection : PDM Photos : Neele Wajnsztok

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