Une indispensable et courte étymologie pour les comprendre
LES DEBUTS DES BOURGEOIS
Le Robert est loquace et en verve sur la définition. Au Moyen Age c’est « le citoyen d’une ville, bénéficiant d’un statut privilégié. » Sous l’Ancien régime, « membre du tiers état qui ne travaillait pas de ses mains et possédait des biens. »
Une auteure, Céline Verlant, donnait, en 2021, comme origine de ce mot, « les habitants du bourg de Bordeaux ». Pourtant un texte de 1716, à Lyon, cite cette « Supplique des Bourgeois de Lyon possédant des biens… » selon laquelle « Il est fait défense de troubler, dans la vente de leurs vins, provenant de leur crû ».
Source précieuse, Armand d’Armailhac. Il est le propriétaire de ce cinquième cru classé, indépendamment de quoi il publie en 1855 « La culture des vignes, la vinification et les vins dans le Médoc, avec un état des vignobles selon leur réputation. » Retenez ces trois derniers mots, significatifs de nombreux classements qui ont essayé de renouveler les critères autant que les propriétés changeaient de main. L’ouvrage en tirage limité selon les normes de l’époque, connaît un franc succès. Une deuxième édition paraît en1858 et s’avère plus complète que la première. L’auteur cite 248 crus bourgeois répartis en trois catégories ! Mieux même, il souhaite intégrer les « meilleurs » parmi les Cinquièmes dans le classement de 1855. Cet ingénieux novateur propose de créer une sixième catégorie. Ses écrits sur le sujet ne furent pas suivies d’effet. Le panier aux oubliettes accueillit ses propositions comme si, simple supposition, les Classés n’avaient aucune envie de donner une suite favorable à des cinquièmes potentiellement déclassables ou des Bourgeois méritoirement classables. Curieusement le texte de M. d’Armailhac se réfère aux seuls vins du Médoc, comme si, à l’exemple des Classés, les autres vins de la Gironde n’existaient pas. Mieux même, quelques tentatives de partager le titre de Bourgeois eurent lieu, notamment sur la rive droite.Trop tard. Les termes Crus Bourgeois s’apparentent aux seuls vins du Médoc.
Un premier pas est accompli grâce à une loi de 1884, citée par le Cervin(1) qui « autorise la création de syndicats professionnels. » Naissent ainsi, renseignent les auteurs de la publication, en 1901 l’Union Syndicale des propriétaires de crus classés du Médoc » et pour ce qui nous intéresse, le Syndicat des Crus Bourgeois du Médoc qui voit le jour en 1908. Il restera près de vingt-cinq ans en somnolence. On a retrouvé une trace de cette existence, enterrée dans les fonds de tiroirs. Sans conséquence ou suivi. Que s’est-il passé ensuite ? On l’ignore totalement tout supposant que ces crus bourgeois se hissaient à un certain niveau des cotations, donc dirons-nous, selon leur réputation, ce qui pouvait laisser quelque espoir à ces propriétés soucieuses de parvenir à l’échelon supérieur. En termes sportifs, on qualifierait les meilleurs, les plus demandés, les plus chers selon les courtiers, comme des outsiders. On estime leur nombre à « au moins 300 Crus Bourgeois » qui « ne portaient que très exceptionnellement le nom de « château » et étaient désignés du nom de leur propriétaire, du nom du lieu-dit, voire des deux à la fois. »
LE PREMIER CLASSEMENT
On ne sait qui lança l’idée d’établir un classement à la fin des années 1920 qui finit par aboutir en 1932. Les Médocains s’approprièrent donc, sans le mentionner, l’exclusivité de Crus Bourgeois du Médoc ! On ne sait rien des tractations, si ce n’est que ses garants furent la Chambre de Commerce de Bordeaux et la Chambre d’Agriculture de la Gironde. Le jury revint (1) à « un groupe de cinq courtiers de la place de Bordeaux. »
Ancien président des courtiers de la Gironde, Max de Lestapis ne possède pas de renseignement sur ce classement qui, fait-il judicieusement remarquer, « tout en conservant sa notoriété et son autorité interprofessionnelle n’a jamais été homologué par les autorités françaises ! » Il pense, m’écrit-il, que « les initiateurs de ce classement devaient être des membres bien placés de ce syndicat qui souhaitaient voir figés, à l’exemple de celui de 1855, les places des différentes mentions. »
Ce premier classement recensait 444 propriétés réparties en trois rangs, les Crus Bourgeois avec 339 propriétés, les Crus Bourgeois Supérieurs citant 99 propriétés et 6 Crus Bourgeois Exceptionnels : d’Angludet, Bel-Air Marquis d’Aligre, Chasse-Spleen, La Couronne, Moulin Riche et Villegeorge. Fin du premier acte.
LES SIX EXCEPTIONNELS DE 1932
Château d’Angludet. Appellation Margaux. Le cru est entré dans la famille Sichel en 1961 et est conduit actuellement par Benjamin Sichel. La famille est connue pour être simultanément propriétaire (avec notamment Château Palmer) et négociant en vins.
D’impossibles problèmes d’indivision ne permirent pas à d’Angludet d’être classé en 1855.
Château Bel-Air Marquis d’Aligre. Appellation Margaux. Le vin destiné à la consommation personnelle de ses propriétaires ne fut pas présenté au classement de 1855. Acquis par la famille Boyer en 1947, il montre la coquetterie d’inscrire Grand Cru Exceptionnel sur les étiquettes de ses bouteilles.
Le propriétaire déclasse les millésimes qu’il juge indignes.
Château Chasse-Spleen. Appellation Moulis. Acheté en 1976 par la famille Merlaut, il est le seul des six à avoir été reclassé au sommet lors du classement (annulé) de 2003.

« Son vin n’a pas son pareil pour chasser les idées noires » a chanté Lord Byron en 1821.
Château La Couronne. Le cru a disparu. Ne pas le confondre avec un nom éponyme en Lussac Saint-Emilion.
Château Moulin Riche. Appellation Saint-Julien. Acquis par une famille de négociants en vins installés depuis 1804, les Cuvelier également à la tête du Château Léoville-Poyferré deuxième cru classé. Une vie en soubresaut pour ce Bourgeois qui fut intégré, disparut, devint le deuxième vin du Classé pour finir par retrouver son individualité en 2009.
Château Villegeorge. Appellation Haut-Médoc. Acheté par Lucien Lurton en 1973, la propriété est gérée par sa fille Marie-Laure depuis 1992.

Elle préside aux destinées d’autres crus médocains.
Fin de cette première saga des Bourgeois. La deuxième moitié du vingtième siècle et les premières années du siècle en cours regorgent de cactus. Le deuxième acte ne manquera pas de piquant.
Jo GRYN
(1) Centre d’Etude et Recherches sur la vigne et le vin. Publication publiée par Féret en 2015 « Philippe Roudié, Bordeaux, le vin et l’histoire. »