Histoires de cendriers

Survol d’une espèce qui a disparu des tables de restaurants.

Introduction

Comment définir actuellement les cendriers de restaurant ? A coup sûr d’objets (jadis) fonctionnels. Les rattacher à l’art populaire serait excessif. D’autant plus que mon dictionnaire ne donne aucun définition précise de ces deux mots accolés pour des objets du quotidien. Acceptons, pour l’origine, qu’ils viennent du peuple, qu’ils ont une origine artisanale.

Que sont-ils ?

Ces récipients accueillaient obligatoirement des mégots, leurs cendres, des allumettes échaudées, des noyaux d’olive, des chewing gum inopportuns, des boulettes de papier d’une évidente inutilité. 

Paul Bocuse et Joël Robuchon en toute simplicité

Ont-ils eu une vocation publicitaire, doublée d’une image de marketing ? Les avis divergent. A quoi servent les indications commerciales, avec leur adresse et leur numéro de téléphone, si ce n’est ou n’était qu’une invitation indirecte aux clients pour les emporter.

J’ai connu un journaliste collectionneur d’assiettes de restaurants. Il les « empruntait » avec discrétion et savoir-faire. Il était parvenu à réussir son coup lors d’un déjeuner professionnel avec des cadres de la gendarmerie. Il termina le repas par des remerciements puis avoua sa marotte en sortant de sa chemise l’assiette astucieusement cachée. Il put l’emporter. L’assiette comme souvenir ne laisse aucun doute, au même titre que le cendrier. Le restaurant Troisgros à Roanne proposait en sa boutique ses assiettes, verres et cendriers. Ces achats, rappels de bons moments, trouvaient rarement une utilité pratique.

Formes et Figures

Ces cendriers se présentent sous tous les aspects. Le plus souvent rectangulaires, aux dimensions qu’on pourrait croire standard. Dix ou douze centimètres de base, avec de rares exemples où la longueur est verticale.

Très souvent circulaires avec des diamètres de douze à quinze de centimètres, ce qui n’exclut ni les exceptions de forme ni celles des décorations, excentriques plutôt rares.

Le plus grand : 16 cm de diamètre

La forme de losange est très rare. En voici une intéressante illustration.

Grand restaurant de l’époque. Existe à présent en tant que bonne brasserie à Ixelles, commune de la région bruxelloise.

 Les restaurants des bords de mers ou de rivières apprécient d’y faire figurer ici un poisson, ici un coquillage.

En revanche, du côté des mammifères, on voit parfois le nom du restaurant. De même, la gent ailée n’a oublié ni le canard ni la cigogne.

La bécasse aurait mérité davantage de considération à l’époque où elle n’était pas interdite

Avec un nom de restaurant en français pour l’un et un en flamand pour l’autre

Certains chefs choisissent la carte de la sobriété. Le nom du restaurant figure au recto, des renseignements utilitaires sont remisés au verso.

La gouttière ou rigole, cet espace concave où on repose la cigarette, se veut toujours présente alors qu’on peut penser que ce n’était pas toujours sa fonction, Il n’empêche qu’on a dû les utiliser comme cendriers. Pour ce qui est des couleurs, le blanc domine largement.

.Les objets des Arts Populaires ont leurs collectionneurs. Le musée des Beaux-Arts à Tours a la spécificité des rassembler les créations des Compagnons du Tour de France. Ce sont des chefs-d’œuvre, au sens ancien du terme, réalisés par des candidats au titre de Compagnons dans des domaines fondamentalement différents, outils de travail personnels et uniques, reproduits avec des nuances et en série par les fabricants.

Certains chefs ont cherché une touche d’originalité, se sont tournés vers des faïenceries réputées.

D’autres ont fui la monotonie, tel La Paix de Paris qui a joué sur des détails.

Soulignons l’originalité de La Coupole. Cette brasserie parisienne fut ouverte en 1927 et connut un succès qui ne s’est jamais démenti. Elle fut fréquentée par des artistes, peintres, écrivains de renom qui confortèrent sa célébrité.

La coupelle montre deux personnages de dos, un homme qu’on devine chasseur, une femme nue (une audace à une époque au téléphone à huit chiffres) tendant une main à un homme qui s’aide d’une canne. La Belle Époque pour certains.

En toute discrétion, avec élégance et raffinement

La lettre S pour Roger Souvereyns, un seigneur de la gastronomie belge dans le dernier quart du siècle précédent au Scholteshof. Une signature pour l’Apicius parisien.

Pour terminer sur une bonne bouteille, le cendrier Feuille de Vigne du restaurant La Bourgogne

Pas le moindre doute, le téléphone aux 3 lettres situe cet établissement à Paris
Jo GRYN

Collection PDM. Photos Neele Wajnsztok

PS : Pour qu’on ne m’adresse pas le reproche de ne pas l’avoir écrit, sachez que les collectionneurs de cendriers se nomment des téphraphilistes.

Vins et Champagnes

Menus du vingtième siècle

Le siècle commence bien. Le Champagne est à la mode. Les restaurants ne désemplissent pas. Les aristocrates se sont entichés de ces bulles. Il n’est plus un banquet digne de ce nom sans Champagne.

LE CHAMPAGNE

On veut boire cette boisson effervescente dont la première mention écrite apparaît, spécifie Vincent Chambarlhac (Champagne – De la vigne au vin) en 1675 en Angleterre sous le nom de Sparkling Wines. On attendra 1711 pour une mention en français !

L’effervescence champenoise connaît un succès fou. Les Maisons de Champagne se concurrencent à qui mieux-mieux. Mercier a été une vedette en 1899 en faisant venir d’Epernay un foudre équivalent de 200 000 bouteilles, soit quelque1 800 hectolitres à l’Exposition universelle de 1899. L’accueil fut triomphal. L’année suivante les Maisons de Champagne sont présentes à la cinquième Exposition de Paris avec un Pavillon représentant trente-et-une marques. Ce succès ne se démentira pas.

Pourtant, sous les ors dorés, un malaise énorme règne dans la Marne. Il faut déjà se préserver des imitateurs, définir en la limitant, l’aire de production. L’inter-profession est en voie de gagner sa lutte contre le phylloxéra apparu vers 1890. François Bonal, auteur d’un magnifique ouvrage simplement nommé Champagne indique que 560 hectares sont attaqués en 1900.  A la suite de quoi se constitue un AVC qui n’a rien de commun avec nos accidents vasculaires : l’Association Viticole Champenoise va défendre la profession.

Le climat joue des siens. Quatre récoltes dramatiques,1907, 1908, 1909 (maladies,oïdium,insectes)et 1910 « un millésime sans vendanges » vont déclencher de véritables émeutes en 1911 avec un très rare appel à l’armée pour rétablir l’ordre.

Rien n’arrête pourtant les marques qui connaissent un succès croissant à l’exportation et ce ne sont pas les deux guerres mondiales qui vont freiner leur essor. François Bonal que je cite une ultime fois nous indique que les chiffres des « exportations sont supérieurs de plus du double à ceux des ventes en France » soit 8 à 9 millions de bouteilles pour la France pour les années 1911 à 1914, tandis que les exportations s’élèvent de 18 à 20 millions de bouteilles comprenant 7,6 millions de bouteilles pour la Belgique qui se classe première. L’Angleterre (7,3 millions) et les États-Unis (1,7 million) complètent le podium. Il va connaître un succès phénoménal tout en se maintenant, on va le voir, en fin de repas.

1900

Les vins bien à l’honneur dans ce menu qui met la Russie à l’honneur, avec une Eau-de-vie Russe Wotka. Le Pisporter, un riesling, donc un blanc. On adore toujours autant les très vieux Bordeaux et Bourgognes en compagnie d’un Pontet-Canet 1868 et un Volnay 1870. Une nouveauté, le coup du milieu sur un Pommery américain. Pourquoi Américain ?  On revient aux « bons usages » : Léoville 1865 suivi de St Georges Nuits (une inversion d’époque) 1871. On aurait cru à une fin en beauté avec un Muscat ou un Porto, mais les bulles, celles de Vve Clicquot ferment obligeamment le repas.

1902

31 mai 1902 (Hôtel Moderne, Paris) (menu artistique)

Banquet officiel offert à Adolphe Carnot par l’Alliance républicaine démocratique.

Encore un menu à la Française et encore un Madère pour commencer. Médoc, Graves, Saint-Julien. Je cite ce menu principalement pour sa finale, le Champagne Hôtel Moderne en Cuvée Spéciale. De grands restaurants avaient et ont encore la coquetterie d’avoir un champagne à leur marque.

1903

Les petits plats dans les grands lorsque le président Édouard Loubet reçoit le roi d’Angleterre Édouard VII. J’imagine que le Porto Commendador est un geste symbolique d’amitié au roi anglais. De superbes bouteilles : trois Grands Crus de Bordeaux et un de Bourgogne. Deux champagnes pour les derniers toasts de ce très officiel repas, un Moët et Chandon White Seal (sans doute au dosage spécifique pour le marché anglais) et un Brut Impérial de 1889 !

1905

Les vins en caractères minuscules, comme addendum de politesse. On découvre dans le menu une innovation culinaire sur la Truite Saumonée au Champagne. Dans les verres un Graves, sans doute un blanc, du Pauillac sans plus, le Château-Laroze 1878 (classé deuxième 23 ans auparavant), le Bourgogne assez fidèle au rendez-vous, représenté par un Corton de 1885.

Un Champagne anonyme en queue de peloton lors de la troisième édition du Tour de France cycliste. Le menu est rehaussé par sa présentation, un dessin d’Antoine Calbet, un ami du Président de la République Armand Fallières, pour lequel il illustra de nombreux menus.

Comme la mariée est jeune, on écrira que le monsieur à ses côtés est le père, pas le président qui fut élu en 1906. L’ange au bas du dessin va ouvrir une bouteille qui s’apparente plus à un magnum pour la félicité de la mariée et du marié, s’il ne s’agit pas du père…

1908

Le Madère ouvre le ban. Peu de précision. Médoc et Graves doivent être deux entités. Pontet-Canet est définitivement un Pauillac très couru. Pommard, comme s’il fallait aussi un Bourgogne. Même remarque pour ce qui est un Champagne frappé.

1916

A l’avant on meurt. A l’arrière, il n’y a pas la guerre. On se goinfre au Palais d’Orsay. Avec un très curieux Médoc, servi en carafes. Avec la lettre «s » s’il vous plaît. Il y en aura donc pour tous. Le Chablis est relativement nouveau, suivi d’un autre blanc, quasiment en innovation, avec son nom de Clos Charlemagne 1906. Duo Bordeaux Bourgogne avec le Château Ausone 1906 et le Chambertin 1904. Encore et toujours en fin de parcours, le champagne, un Pommery goût américain, d’un dosage spécifique destiné pour ce marché, comme il y en a eu pour les marchés anglais et allemands.

1916

Déjeuner. Restaurant Marguery, [Paris].

On est séduit par cette couverture intitulée La température des cœurs.  Quatre hommes plongés dans le seau à glace pour le champagne à bouteille non ouverte.

1927

Déjeuner. Présidence de la Chambre des Députés.

Un nombre restreint de vin, mais « du bon et même du très bon. » Médoc et Graves sans plus. Puis un Premier Classé de Sauternes, dans un fabuleux millésime, La Tour Blanche 1921. Classique couple dans l’excellence avec le Haut-Brion 1902 et le Chambertin 1918. Clicquot 1920 est une marque suffisamment connue pour qu’on se passe de l’appellation champagne.

1936

Dîner

Sur un menu publicitaire du champagne Joseph Perrier, du blanc et rouge en carafe, Rosé select 1934, St Emilion 1923 et un Champagne inconnu Le Forestier.

1938

Royales journées en France : le président Albert Lebrun reçoit le 19 juillet à dîner, au Palais de l’Élysée, leurs majestés britanniques, le roi d’Angleterre Georges VI et la reine Elizabeth. Le premier repas est à la gloire de la viticulture française. On commence par Yquem 1923, suivent Haut-Brion 1924, Chambertin 1928, avant de presque terminer avec le Pommery Brut 1929 car on honore à la fin le royal British invité d’un Porto Commendador.

On n’a pas de renseignement sur le repas du lendemain. En revanche, soit le 21, inégalable déjeuner donné à Versailles pour les invités. Il y eu d’abord un concert de musique de chambre donné par l’Orchestre National de musique de chambre sous la direction de Monsieur Joseph Calvet. Lisez les préparations exécutées par le Mozart de fourneaux, le Picasso des sommeliers. On servit dans les verres qu’on se devait de changer à chaque vin   Suit une symphonie achevée :  Xérès Mackenzie « Amontillado Grande Reserve », Chevalier-Montrachet 1921, le magnum de Château Haut-Brion 1920, Hospices de Beaune Cuvée Charlotte Dumay 1923, Corton Grancey 1929, Magnum de Château Mouton-Rothschild 1918. Une innovation en « coup du milieu », le granité au Lanson 1921 pour lequel je pressens que de nombreux invités ignoraient qu’il s’agissait d’un champagne. Retour au contenu des verres : Château d’Yquem 1921 et le magnum de Château Latour 1904.

Je pense qu’à l’époque de cette visite l’Angleterre était le premier pays importateur et que les grandes marques ont voulu s’associer à l’événement. Furent donc servis : Pol Roger 1911 en magnum, G.H. Mumm 1911 également en magnum, Louis Roederer 1904, Veuve Clicquot 1900, Pommery 1895. Que du champagne dont le plus jeune signe ses 27 ans, le plus ancien est un allègre quadragénaire. On applaudit des deux mains.

1939

Déjeuner, Présidence de la Chambre des Députés. Restaurant du Café Neuf – M. Vettard, Lyon.

Intéressant déjeuner officiel tenu à Lyon. On célèbre le Beaujolais voisin en carafe, puis le Rhône tout aussi proche avec la Vallée rosée des Côtes du Rhône. La Bourgogne n’est pas trop éloignée : un grand cru que ce Bâtard-Montrachet 1934, puis un Château Saint-Georges 1924. On redescend vers le sud et le Châteauneuf du Pape des Fines Roches 1929 est bien identifié. Un repas exceptionnellement rare par l’absence de tout Bordeaux. Le champagne toujours en fin de liste à la veille de la deuxième guerre mondiale sans plus d’attention que cette marque Louis Roeder (sic) brut 1928.

1940

Le 13 avril et un couple d’amoureux pour illustrer un mariage. Pas un seul vin millésimé. Sympathique Beaujolais en guise de trois coups pour commencer, Champagne Pommery V.P. encore et toujours en baisser de rideau !

RARETES PRESIDENTIELLES

La Bibliothèque Municipale de Dijon recèle des trésors que j’ai consulté pour cette série. En charge des colletions numériques et des fonds d’archives, Sébastien Langlois y travaille depuis 2009. Il en a répertorié et numérisé 12 000. Cette Bibliothèque Patrimoniale s’est considérablement enrichie sous la conduite de Mme Caroline Poulain directrice adjointe du Pôle Patrimoine de la Bibliothèque depuis une vingtaine d’années. Près de vingt mille menus, reflets de cent quatre-vingts années y sont conservés, précieux témoignages de chaque époque

Les menus relatifsaux cérémonies officielles des huit présidents de la République qui se sont succédé de Félix Faure en 1895 jusqu’à Albert Lebrun démissionnaire en 1940 comportent une curiosité qui suscitent l’étonnement. Parmi les trente menus conservés deux seulement présentent des indications sur les vins servis. On peut pourtant être certain que les invités de choix eurent autre chose à boire que de l’eau.

Je fais l’impasse sur les années de guerre et les suivantes. De plus, on manque de menus français et belges des décennies suivantes. Il s’en trouve certainement dans des collections privées ainsi qu’à Dijon où malgré l’assiduité de Sébastien Langlois, ils n’ont pas encore été répertoriés et numérisés. Je recense trois menus non illustrés de 1957, 1958 et 1960 salués, encore et encore, au Champagne en finale.

Le concert avant le déjeuner du 21 juillet

CONCLUSIONS

Il se trouve certainement des menus des décennies 1960 et 1970 dans des collections privées ainsi qu’à Dijon où malgré l’assiduité de Sébastien Langlois, ils n’ont pas encore été répertoriés et numérisés. On peut cependant estimer à bon escient que le Champagne a navigué malgré lui, pendant des décennies pour s’imposer en début de repas, sa production, elle, fut exponentielle. Il a dépassé pour la première fois en 1999, précise le Comité Interprofessionnel des Vins de Champagne (Civc), le cap des 300 millions de bouteilles. Ce record fut effacé en 2007 avec une production de 338 millions de flacons.

De nos jours, dans la plus grande majorité des cas, c’est au début des repas qu’on célèbre, dans la joie, l’hégémonie de ces milliards de bulles de bonheur.

Jo GRYN

Le menu de 1900 vient de la collection de M. de Meester, celui de 1905 du livre de François Bonal, celui de 1908 d’une collection particulière. Tous les autres sont extraits de menus numérisés à la Bibliothèque Municipale de Dijon. Je remercie les responsables pour leur autorisation à les publier et les conseils qui ont pu m’être apportés.

Le vin aux grandes tables du XIXème siècle

Le siècle a mal commencé. Napoléon n’était pas un gourmand. Il a reçu à sa table. On dit qu’il expédiait vite les repas. Les années qui lui succédèrent, au fil des régimes, furent  plus gourmandes.

INTRODUCTION

On festoyait, on se régalait, on découvrait la gastronomie, peut-être la nouvelle cuisine avant la lettre. Les menus des grandes tables ne laissent aucun doute à ce sujet. Les premiers cuisiniers ont pris la plume pour promouvoir une autre gastronomie.

1828. Marie-Antonin Carême, célèbre pâtissier publie « Le Cuisinier parisien ou l’art de la cuisine française au XIXe siècle. » En 1827 Horace-Napoléon Raisson rédige un très amusant « Code Gourmand Manuel complet de gastronomie » qui connaît plusieurs éditions. « Le Livre de Cuisine » de Jules Gouffé est une première en son genre, en 1867. Enfin, « le Grand Dictionnaire de cuisine » d’Alexandre Dumas est publié en 1873, trois ans après la mort du grand écrivain.

Les nombreux menus festifs de ce siècle-là témoignent de la gourmandise de l’époque. Des lecteurs se sont étonnés du manque de détails sur ces papiers de quelques centimètres carré. Personne n’a pris de note sur le choix et l’origine des produits, sur le type de cuisson, la durée et l’heure du repas, la quantité de mets qui ont été absorbés, le nombre de convives. La plupart de ces questions restera vraisemblablement sans réponse.

LE VIN

Il faudra des décennies pour que le jus de la treille accède à sa place dans les menus. Et encore, pas n’importe comment. On verra d’ailleurs que sa présence manquait fréquemment de précision quant à son origine précise. En revanche le millésime semble être un intéressant point de repère que l’amphitryon présente avec une certaine fierté. On fera l’impasse sur les centaines de menus où le vin ne fut pas mentionné bien que l’on soit certain qu’il fût bu et certainement honoré plus que de raison. Je me souviens que M. De Meester avait dû faire des recherches dans sa collection pour dénicher des menus mentionnant la présence du vin. De la Collection Schellekens offerte au Musée des menus de Dijon, qui reprend quarante-neuf menus belges étalés entre 1844 et 1866, dix-huit sont rangés à la section des Grandes réceptions et Repas officiels parmi lesquels trois  indiquent la présence du vin. Ce défi va perdurer des décennies pour qu’il puisse assumer sa présence, revendiquer son identité partielle ou complète. Le dix-neuvième siècle n’y suffira pas.

J’en retiens quelques-uns parmi les plus instructifs. Je respecte l’orthographe, souvent non définitive, telle qu’elle figure sur chacun.

1845

Le plus ancien des menus en compagnie de ses vins : le dîner de Son Altesse Royale le Prince Charles de Bavière (1) le 23 décembre.

Ce menu exceptionnel donne l’apparence d’un repas « à la russe » et « à la française », dans un ordre logique pour les mets et les vins.

Un Sauternes sans qu’on puisse en savoir davantage. On ignore sa marque mais sa place en début de repas laisse présager qu’il s’agit d’un vin moelleux. Servi (au choix du convive?) simultanément ou pas, avec un Madère, sec est-il spécifié. Il s’agit d’une fort belle entrée en matière. Suivent un Bordeaux, le Château Lafitte et un vin allemand, le Schloss-Johannisberger, non millésimés.

Voici une nouveauté, intéressante à plus d’un titre. Un Champagne, sans marque mais il nous est donné à savoir qu’il vient de Sillery. A coup sûr enrichi de sa pétillance. A-t-il été sélectionné des seules vignes de cette commune située à une douzaine de kilomètres de Reims ? On sait qu’il s’agit d’un négociant, d’une marque qui a encore le choix, à l’époque ,d’inscrire le nom de la commune plutôt que l’emblématique nom Champagne.Fait unique dans un repas de cette époque, le Champagne est servi en début de repas. Ce menu d’une table allemande est le seul menu non français ou belge de la série.

Deux portos, un rouge et un blanc, un Vino Santo italien et un Pedro Kimênes. J’aurais fait l’impasse sur les liqueurs, mais comment ne pas saluer l’anisette d’hollande.

Les orthographes sont loin d’être définitives comme on peut lire. En revanche l’Europe à table existe sans le moindre doute.

1847

Vous avez été nombreux à vous mettre en appétit avec ce long menu (2) décrit dans le précédent article. On me demande à quelle heure on commence le repas. On doit se souvenir qu’on pouvait être placé à un bout de table. Y picorait-on les seuls légumes posés devant soi ?


Une précision orthographique. L’entité Rauzan est déjà divisée en Rauzan-Ségla et Rauzan-Gassies. Rauzan-Ségla s’écrit avec un « z » qu’il perdra au vingtième siècle au profit d’un « s » selon le souhait de l’autre propriétaire. Le cru récupérera son « z » à l’issue d’un procès, en faisant état de son antériorité.

1849

Le banquet (2) offert au Roi, à la Reine et à la famille royale belge possède également la particularité d’être à la fois ‘à la française’ par la quantité de plats servis à table et ‘à la russe’ par son ordonnancement.

Les vins sont alignés sur cinq lignes. La première cite Bordeaux sans autre renseignement. Une virgule après son nom, puis un tiret avant de signaler le suivant. Un blanc ? Un rouge ? Lequel ? Pourquoi celui-ci à l’entame du repas. Il préservera son mystère. Un deuxième Bordeaux, mieux défini : un Médoc de la commune de Saint-Julien, sans nom de marque et de 1841. On apprécie beaucoup les Bordeaux d’un certain âge. Troisième vin, comme souvent dans le trio de pointe, un Madère. Suivent deux vins de la même famille, un Champagne mousseux et un Sillery Mousseux. Les invités auraient-ils le choix entre la mousse déjà à la mode et un champagne calme, à l’ancienne ?

Trois Bordeaux : un Médoc, le Bécheville (au lieu de Beychevelle) futur quatrième cru classé de Saint-Julien, en 1839, et un peu plus âgé, le Larose 1834 qui sera classé deuxième de Saint-Julien sous le nom de Gruaud-Larose et enfin le réputé Château Margaux 1837, de trois ans plus jeune mais davantage réputé.

La Belgique n’existe que depuis vingt ans. On enchaîne dans la paix avec l’Allemagne (Rhin, Johannisberg,  Cabinet, Hockheimer 1834) et le Portugal (Oporto) pour clore d’un Muscat Rivesaltes et un vin de Lunel (en cépage muscat), deux vins doux naturels du Languedoc-Roussillon qui obtiendront leur appellation d’origine contrôlée en 1956 et 1943 !

1853

Deux mots sur les vins d’un menu non publié. .Tout semble simple et pourtant : Bordeaux, Champagne, Bourgogne puis Champagne à nouveau mais spécifié mousseux frappé. Est-ce à supposer que le (ou les) premier fut un vin calme. D’autre part, on juge utile de spécifier que le Champagne mousseux se doit d’être bien refroidi.

1872

Sauterne et Madère restent les apéritifs préférés de ce banquet (2).

Le Pauillac et le Saint-Julien sont-ils en appellation communale ? On pourrait le penser en lisant la suite, alors qu’un Champagne se présente en Sillery supérieur, se distinguant sans doute de collègues moins prétentieux ?Une apparition peu commune, Châteauneuf du Pape, précède un Saint-Juilen à réputation acquise de deuxième cru classé, sans savoir lequel des trois a été retenu. De même on n’accorde aucune importance au millésime, comme cet Hermitage qu’on supposera de couleur rouge. Un champagne de marque, Mumm, enrichi de la mention carte blanche. Ce n’est pas la première fois que le Muscat (de) Lunel clôt un repas d’apparence ‘à la française’.

1878

Un bien beau menu ‘à la française » (2) très généreusement arrosé, aux vins individualisés sans excès.

Les marques cherchent à se faire reconnaître. Madère continue à mener le bal. On reste en appellation communale avec le retour du St Julien. Une sérieuse apparition dans le trio de tête, avec un champagne plein d’enseignements : Un Sillery toujours supérieur, signé Moët & Chandon. La marque créée en 1743 a confirmé sa nouvelle dénomination en 1832. Contraste entre le Cantemerle 1844, 34 ans de bouteille pour ce cinquième cru classé en Haut-Médoc et le Château d’Issan, non millésimé et pourtant troisième de Margaux. Quel regret de ne pas connaître le millésime du Château d’Yquem. Nouvelle carte blanche pour Louis Roederer dont la marque a été déposée en 1833. Lafite sait imposer son millésime,1846, à la différence du Chambertin : sa notoriété suffit à son seul énoncé. Liebfraunmilch cabinet en avant-dernière position, Porto ferme la marche.

1881

On mangera fort bien à la lecture de cet alléchant menu (2).

On boira encore mieux en commençant d’un Château d’Yquem 1869. Suivent trois Bordeaux, Margaux 1870, en appellation communale, vu l’absence du mot château et en tenant compte de la jeunesse (relative) du millésime. Château Léoville 1864 comme s’il n’en existe qu’un seul, alors que la séparation en trois entités s’est effectuée entre 1826 et1840. Branne Mouton Rothschild 1869. Clos Vougeot 1865 et deux champagnes qui se distinguent pour fermer la marche, Moët & Chandon inscrit comme Crémant (on n’en saura pas davantage) et Louis Roederer déjà rencontré avec sa Carte Blanche.

1883

On apprécie la présentation (2) dont l’énoncé du solide et du liquide ne peut que faire saliver. Le jugera-t-on comme un menu ‘à la russe’ ou ‘à la française’ ?

Sans le détailler, on commence par du Madère, Yquem souffre d’être le seul à ne pas être millésimé, on ne saura rien des trois Bourgognes, on termine d’un Champagne qu’on dira générique. Le Chambertin, millésimé 1846, est avec ses 37 ans d’âge, le vin le plus ancien de ce repas. Pour la comparaison, sortez de votre cave un grand bourgogne de la décennie 1980…

Autre menu de cette année 1883. 

Un vénérable Vouvray d’entrée remplace le Sauternes, le Marsala, en vin surprise, a dû surprendre les invités. Comme on le voit, deux Bordeaux en appellation communale auquel succède un Château Margaux. Louis Roederer en baisser de rideau.

1885

L’allure d’un riche ‘menu à la russe’ (2).

Comme d’habitude le Xérès ouvre les bans. Trois Bordeaux pour enchaîner. Un communal, le Saint-Pierre 1870 puis le Pape Clément.

Saint-Pierre  a appartenu à des négociants anversois, les Van den Bussche. Il n’est pas impossible qu’avant de devenir propriétaire (1920) ils commercialisaient déjà ce quatrième cru classé de Saint-Julien  qu’ils gardèrent jusqu’à une vente en 1980 et 1981. Après le Liebfraumilch deux marques de Champagne implantées avec succès en Belgique cohabitent à la fin du repas, Moët (encore de Sillery) et Louis Roederer.

1889

Beau menu (3) imprimé en soie à Nantes pour le restaurant Continental. On a pris soin de tout. Bordeaux sans plus. Rouge ou blanc ? J’opte pour la dernière couleur car Vallet suggère un blanc nantais local. Yquem millésimé, comme le Saint-Emilion, mais c’est quasiment une première de voir ainsi un vin de la rive droite. Millésime1869 comme le Léoville. Une année assez abondante, de « qualité juste moyenne » a repéré M. Pijassou. Un Volnay millésimé et un Roederer. La Bourgogne et la marque champenoise sont appréciées dans l’Ouest de la France.

Dans un autre menu, (2) on lit St Estèphe, Chablis, Mouton d’Armailhacq (une première), Romanée pour la Bourgogne (sans aucune indication supplémentaire), Château Latour et en cohabitation de fin de repas, Moët supérieur et Vve Clicquot Ponsardin.

1898

Tout est vite dit dans ce menu du 1er avril, joliment illustré (4).

Chablis, c’est concis. Martillac est rare, il s’agit d’une commune des Graves qui enfantera en tout cas le futur Château Latour-Martillac. Non millésimé à la différence du Château Margaux 1890, qui se distingue par homonymie de l’appellation Margaux. Suit le grand Bourgogne. Une curiosité sans qu’on sache laquelle : le Champagne XXX. Comme si le patron du restaurant n’avait pas arrêté son choix. Ou que signaler Champagne en fin de repas suffit à l’allèchement.

CONCLUSIONS

Nous voici à la fin du dix-neuvième siècle. Je n’ai pas évoqué les secousses politiques qui ont ébranlé l’Europe en général, la France en particulier, passée de république en royaume et vice-versa. La Belgique nouvelle venue (1830) dans l’orchestre des nations tire parti de sa proximité géographique avec la France, par voie maritime ancienne, par la route, par le rail pour coloniser et arroser pacifiquement les tables.

Les vins, on le remarque, se personnalisent au fil des décennies, certaines habitudes de l’ordonnancement se modifient.

Du côté du Médoc et du Sauternais, on souligne qu’aucune propriété ne fait mention du classement des vins de 1855. On ne porte manifestement aucun intérêt à cette innovation qui va rester absente des étiquettes bordelaises pendant plus d’un siècle !

Le Champagne s’est imposé aux repas de fête, en se positionnant à l’heure du toast final. On célèbre cette boisson effervescente, une nouvelle venue, parée de mille vertus. A l’exception d’une demi-douzaine de marques créées au siècle précédent (de Ruinart la doyenne de 1729 à Jacquesson fondée en 1798), elles se succèdent au fil des décennies suivantes avec une aura sans pareille.

Horace Raisson dans son Code Gourmand de Gastronomie enseigne au chapitre du Voisinage avec les Dames qu’un convive « se doit d’être poli pendant le premier service ; il est tenu d’être galant au second ; il peut être tendre au dessert » et poursuit que « jusqu’au Champagne, son genou ne doit prendre aucune part à sa conversation. »

Quand le champagne va-t-il conquérir la première position dans le déroulement des repas ? Quiz : Premier, deuxième, troisième quart du siècle ? Je vous laisse le soin de deviner, avant les menus du vingtième siècle, sujet du prochain article.

Jo GRYN

Origine des menus publiés

  1. Menu des Collections Patrimoniales du Musée de Dijon. Reproduit avec l’aimable autorisation de sa direction.
  2. Collection Didier de Meester de Betzenbroeck
  3. Collection personnelle
  4. Photo tirée du catalogue  N° 28 de ventes Gastronomie et Œnologie de M. Huchet

Un grand festin ‘à la française’

Parmi les nombreux menus que je consulte et dont je parlerai ultérieurement, je veux en détailler un que l’on peut tenir pour exemplaire et révélateur de cette époque. Il date du 20 juin 1847.

INTRODUCTION

Que nous raconte ce menu ? Le repas a été vraisemblablement tenu en Belgique. Ce menu appartient à la collection de M. De Meester qu’un cancer tient éloigné de sa chère collection. Il est dans l’incapacité physique de me fournir de plus amples renseignements. Les armoiries laissent augurer d’un repas royal dans la jeune Belgique, créée en 1830.

On peut discerner dans le coin inférieur gauche le nom de l’imprimeur, Lith de VanGierdegomi et, dans le coin inférieur droit, l’adresse difficilement lisible, Rue des Gades …

Vingt-sept plats y sont imprimés auxquels une main gourmande, inconnue, a ajouté des annotations, des renseignements gastronomiques, des corrections entre ce qui était prévu et a été servi. Un autre renseignement inestimable vient de celle ou de celui qui a répertorié la longue liste de vins.

LES METS

1847 ! Le « repas à la française » a droit de cité sur la plupart des tables de renom et il est presque toujours imprimé. Maurizio Campiverdi, président de Menu Associati, auteur de d’un long article sur l’histoire des menus, détaille ainsi le déroulement d’un tel repas : « tous les plats, répartis en trois (ou plus) services successifs, étaient présentés simultanément aux invités. Ils entraient dans une pièce où tous les plats du premier service, dans leur grande variété, étaient déjà disposés symétriquement sur une très grande table richement dressée. L’effet était splendide » juge-t-il, concluant que « le menu était donc superflu car les plats sont bien visibles pour tous. » Les menus ont pourtant bien existé, mémoires appétitives de la gastronomie de cette époque, conservés grâce à la gourmandise et à la collectionite de menus-maniaques.

Passons le nôtre à la moulinette. Il débute, dans l’ordre, d’un potage à la jardinière (aux sans doute abondants légumes), d’un turbot sauce aux capres (je respecte l’orthographe), filet de bœuf truffes (au pluriel) et champons, du ris de veau aux tomates, des cannettons (sic) aux petits pois. Une main anonyme (le cuisinier ou l’invité?) a barré ce dernier légume pour lui substituer le mot carottes, puis mayonnaises de saumon, de filets de sole pour ce premier acte de table.

Quel mérite, quelle circonstance valent au punch à la romaine ce caractère distinct en gras distinct ? Il s’agit d’un dessert qui associe du vin de Chablis au début de sa composition, du rhum au moment du service. On peut penser (sans preuve) qu’il aurait été proposé à tous les convives à un moment donné du repas pour relancer l’appétit. Un trou normand à l’ancienne ? Nous n’en saurons rien de plus.


Les petits pois ont été remplacés de l’accompagnement des canetons. Les voici seuls, manuscrits, en place des haricots verts. Autre légume, les fèves des marais. Les Poulardes manquaient-elles d’allure ? Notre invité ou le chef qui a reçu les tubercules au dernier moment a ajouté un appétissant complément de « truffées ». Aucun qualificatif, en revanche, pour les cailles, les ortolans, tandis qu’on a fait l’impasse sur les chevreuils. Jules Gouffé dans son Livre de Cuisine (Hachette 1867) les prépare en caissettes individuelles. On peut s’étonner de la présence printanière de cette délicatesse automnale.

D’utiles précisions géographiques comme on le fait de nos jours avec la cuisine du marché. La truite est originaire de Genève, le jambon d’anvers (sic) à la gelée. Pas d’indication en revanche pour le buisson de homards. Ajoute manuelle, le buisson d’écrevisses de ???. (illisible), la terrine de …, le paté (sic) de foie d’oie.

On termine en fanfare : Pièces montées, crèmes, gelée d’orange, e(?) Ananas, e(?) Melons, Fraises accompagnées souligne notre invité de cerises et de raisin, glaces pour conclure d’un dessert assorti. Remarquez l’écriture particulière pour les deux lettres « s » de dessert et assorti. On salue enfin le point final de ce repas « à la française .»

LES VINS

On ne sait comment ils ont été servis, combien de bouteilles ont- été débouchées, comment l’invité œnophile a-t-il procédé pour pouvoir tout noter. Une chose paraît évidente en tout cas : la suite de ces vins paraît dans un ordre logique pour l’époque. Un premier survol fait apparaître que le vin le plus ancien est allemand et est le seul à dater du dix-huitième siècle. La première décade du dix-neuvième est représentée par deux rouges, Château Margaux, Ermitage et un blanc, le Sauternes.

Arrêtons-nous aux premiers de cette liste.

Un Madère de 1811. Ce vin portugais a pu bénéficier des blocus de l’époque napoléonienne. Il n’empêche que le vin de Madère figure régulièrement parmi les vins d’apéritif ou d’ouverture des repas tout au long de ce siècle. Un Montrachet 1815. Je connais de très grands amateurs qui font la fine bouche si on leur propose un blanc bourguignon de trente-trois ans d’âge. On ne me fera pas croire que s’il a été sélectionné par l’échanson pour ce repas c’est qu’il est exempt de méchantes traces oxydatives. Un Rauzan 1825 et La Rose 1822. La réputation de ces deux crus,de Margaux et de Saint-Julien est déjà sérieusement notée, trente ans avant le classement des vins du Médoc. On lit en effet, dans le courrier du régisseur de Latour (1) ces intéressantes notations sur les « classes des vins du Médoc », le deuxième degré comporte lui-même ses chefs de file ; on met fréquemment à part « Mouton, le premier des seconds crus » de la paroisse de Pauillac, Rauzan, « le plus distingué des seconds crus de Margaux », « La Rose » (Gruaud-Larose).

On est, je le souligne encore, bien avant le fameux classement de 1855 et les archives de Château Latour (1) dévoilent que le régisseur Domenger, en charge de 1774 à 1797, évoque également en 1790 Ies futurs troisièmes et quatrièmes crus, tandis « qu’au sommet de la hiérarchie viticole, les régisseurs placent quatre châteaux, les « premiers crus », qui atteignent les plus hauts prix : Latour, Lafite, Margaux pour le Médoc, et Haut-Brion dans les Graves de Bordeaux. »

Château Margaux 1807 clôt cette première série. La réputation de ce cru n’est donc plus à faire. Reste le millésime pour lequel je me dois de citer (2) deux lettres répertoriées par René Pijassou. L’une est signée par Lamothe, régisseur de Latour de 1807 à 1835 qui écrit en 1812 au propriétaire que « le grand vin de 1807…est fort bon ; mais je ne le juge pas encore tout à fait fondu pour être expédié. » Il écrit dans une autre lettre de1813 que « je ne lui trouve pas encore le moelleux que je lui souhaiterais. » Gageons que les invités de juin 1847 lui ont trouvé cet indispensable moelleux.

Du neuf : un champagne mousseux, millésimé 1834, de St Basle. Une rareté car on laisse à Ruinart d’avoir été la première marque de Champagne avec un acte de naissance qui remonte à 1729. Mais rarissimes sont les menus des dix-huitième et du début du dix-neuvième à mentionner une marque ou un millésime. Je ne trouve nulle part ailleurs une seule autre trace de ce champagne.

Autre mention intéressante, un Vollenay, selon l’orthographe de l’époque. S’il a été retenu c’est qu’il est digne des invités. Il existe peu de Volnay à même de montrer une fraîcheur incontestable après vingt-deux ans de bouteille. 1825 justifie le jugement porté par le Dr. Morelot : « quantité très médiocre ; qualité très-supérieure. » (3) Lui succède un vin allemand de 1815 le Rudesheimer, un autre Bourgogne, le Vosnes de 1822 en quantité « assez abondante ; qualité très-supérieure » (3), un Rockheimer allemand de 1783. On reste en Bourgogne sur des futurs grands crus, en compagnie d’un Corton 1825, suivi d’un Chambertin 1819 en récolte « assez abondante ; qualité supérieure. » (3)

Quatre régions françaises pour clôturer le festin. Un St Péray 1815, étonnamment vieux pour un blanc du Rhône plus que probablement calme (l’effervescence dans cette appellation remonte à 1829), un hermitage 1806 certainement un Rhône blanc vu sa place entre le précédent et le suivant, un sauterne 1802 que l’on doit tenir pour un vin sec. On ne possède pas de date précise pour la naissance de ces liquoreux bordelais. Ultime bouteille, un mousseux sans autre précision, que j’imagine être un champagne, l’effervescence étant devenue en peu d’années une boisson à la mode, sans que les références d’une marque soient nécessairement indiquées. Je reviendrai sur ces «sparkling wines» dont se régalaient les Anglais, l’aristocratie parisienne et, citant Vincent Chambarlhac (4), les Pays-Bas qui recevaient en 1747-1748, 15% des bouteilles exportées », près de cent ans avant la création de la Belgique.

Hé oui, les gens qui en avaient les moyens savaient manger et boire à cette époque.

Jo GRYN

Bibliographie

  1. Livre de référence par excellence, «La Seigneurie et le Vignoble de Château Latour » a été publié en 1974,sous la direction de Charles Higounet, Professeur à l’Université de Bordeaux, entouré d’une équipe exceptionnelle.
  2. Autre livre de chevet pour ceux qu’intéressent l’histoire des vins de Bordeaux, « Un grand vignoble de qualité Le Médoc » du Professeur René Pijassou (Taillandier 1980)
  3. Histoire et statistique de la Vigne et des Grands Vins de la Côte-D’Or. Dr. M.J. Lavalle, Docteur en médecine et en Sciences Naturelles. 1855 – Réédité en 1972 par les soins de la Fondation Geisweiler.
  4. Champagne De la Vigne au vin (Hazan 2011)

Menu et vins

Les étiquettes de vin, l’apparition des menus, la présence du vin dans ces menus : ces trois sujets indépendants se rejoignent avec le temps encore que le vin a longtemps traîné la patte avant de s’imposer à la place à laquelle il a largement droit.

L’étiquette

La personnalisation du vin est très ancienne. Dans son remarquable ouvrage « Un grand vignoble de qualité LE MEDOC » (Tallandier 1980) » le professeur René Pijassou fait état de la première mention écrite d’une marque. Ce chercheur l’a dénichée dans l’écrit d’un Anglais, Samuel Pepys, « un bourgeois de Londres » assurément un bon vivant qui raconte que « nous avons bu un certain vin français appelé Ho Bryan; il a un goût excellent et très particulier qui ne ressemble à rien de ce que je connais. » Ces lignes sont datées du 10 avril 1663 ! Je continue à me référer à Pijassou. Quand les Anglais se montrèrent friands, dès 1707, de ces nouveaux vins qu’ils appelèrent les « New French Clarets », ils les importèrent d’abord en barriques, probablement étampées. Buvait-on ces vins directement de la barrique ou le versait-on dans des cruchons, alors que la bouteille n’est pas encore popularisée. L’étiquette a dû accompagner la bouteille. Son origine reste très mystérieuse et je n’ai pas trouvé ou reçu de précision sur ce sujet.

1893! Le nom du propriétaire est bien lisible. Château Montrose a été classé Deuxième en 1855. Aucune trace de ce classement. En revanche, on a mis l’accent sur les médailles remportées par le vin. Pas un mot sur l’appellation Saint-Estèphe. Montrose apparaît sous « l’appellation » Médoc.

L’étiquette devient au fil du temps un passeport qui oblige le propriétaire à l’inscription des mentions légales, obligatoires auxquelles se joignent des renseignements facultatifs, souhaités par le vigneron,le propriétaire ou le négociant. Parallèlement l’étiquette sort au fil des décennies de ses contraintes administratives. Elle cherche se personnifier, à se distinguer, à s’identifier au premier coup d’œil de ses voisines. Le marketing, le packaging, le souci de l’esthétique font évoluer de façon sensible le dessin, la forme, la couleur afin de distinguer au premier coup d’œil la « signature .» C’est le cas pour différentes marques de champagne, pour les logos d’importantes maisons du négoce bourguignon. Le Bordelais connaît deux exemples extrêmes. L’étiquette actuelle du Château Lafite, Premier Cru Classé de Pauillac est la même depuis quelque cent quatre-vingts ans. Celle de Mouton-Rothschild s’orne d’un dessin inédit depuis que le baron Philippe de Rothschild fit appel, dès 1945, à des artistes de renom (peintres du monde entier, cinéastes, célébrités, créateurs) leur demandant d’illustrer chaque nouveau millésime.

Pour ce qui est de l’évolution de l’étiquette, je renvoie ceux qui s’y intéressent, les oenographiles, comme le souhaitait qu’on les nomme l’érudit Georges Renoy, auteur en 1981 du livre « Les étiquettes de vin – Un monde merveilleux. » A ses yeux, « l’étiquette se fit aristocratique au 19ème siècle. »

Un mot pour signaler le nouveau sens donné à certaines étiquettes en ce 21ème siècle, avec l’apparition de contre-étiquettes contenant l’ensemble des mentions légales et obligatoires, laissant ainsi à un designer le soin d’embellir graphiquement le produit pour capter l’attention sur les linéaires des grandes surfaces autant que chez les cavistes. Depuis, on joue sur les mots. On voit d’un côté, la contre-étiquette qui est, de fait, l’étiquette légale et inversement. On aime se compliquer la vie quand on peut.

Le vin

Le divin breuvage cher à Rabelais mit du temps à s’intégrer aux plats des menus. Les collections témoignent souvent de leur absence. Lorsque j’ai été contacté par les responsables du livre « La noblesse à table. Des ducs de Bourgogne aux rois des Belges » (VUB Press 2008), j’ai eu la chance de rencontrer un collectionneur exceptionnel, Didier de Meester de Betzenbroeck. Il eut l’amabilité de sortir de sa collection de nombreux menus sur lesquels figurent obligatoirement, à mon insistante demande, les vins de la fête. Sa collection est une inestimable source de renseignements sur les menus du 19ème siècle. Paris était devenu le centre du monde gastronomique dès les années 1840, des événements politiques firent s’exiler en Belgique bon nombre de grands cuisiniers. Les festins belges de l’époque n’ont rien à envier aux menus français comme le montrent à souhait ces menus que M. de Meester mit à ma disposition pour la rédaction de mon article.

Les cours royales européennes ont été parmi les premières à inscrire leurs agapes afin de laisser un souvenir aux invités. Ou de les impressionner. S’ajoutèrent relativement vite des menus d’aristocrates, d’avocats, de militaires plus ou moins haut-gradés, de la haute bourgeoisie, de politiciens, ministres, gouverneurs, préfets, maires et bourgmestres…

On verra qu’à côté des photos, des reproductions, des dessins originaux, du nom de l’imprimeur, de l’occasion du repas, du musicien, du lieu où se déroule le repas, du nom manuscrit des invités, de la date, le vin doit encore parcourir un long chemin pour affirmer une présence circonstanciée. On sait, pourtant, qu’on a bu beaucoup et sans modération.

En tout cas, lorsqu’ils sont présents sur les menus français et belges, les vins sont très majoritairement français. On citera néanmoins la présence régulière du Madère, du Porto, de vins allemands assez fréquents en Belgique, plus rare, celle de la vodka. Les crus italiens et espagnols à l’exception du Xérès n’ont pas droit au chapitre.

Le menu

Commençons par nous entendre sur un mot à double signification. On distinguera d’abord ce qui semble être oublié de nos jours, la distinction entre le ‘service à la française’ et ‘le service à la russe’. Patrice Rambourg, historien des pratiques culinaires et alimentaires rappelle opportunément que c’est au cours du 19ème siècle « que le menu devient un élément incontournable de la table. »

Il apparaît au mitan des années 1840, principalement aux tables royales. Maurizio Campiverdi, président de l’association Menu Associati, éminent collectionneur, a publié un long article sur ses présences et cite les cours allemandes, autrichiennes, belges, françaises, suédoises, russes…

Apparu spontanément, écrit-il, il se développa progressivement, se popularisa prit des formes diverses. Et continue de prospérer.

Menu du dîner de L.L. (leurs) M.M. (majestés), au palais des Tuileries, le 12 novembre 1862.Menu manuscrit établi par Jules Gouffé pour l ‘Empereur Napoléon III et l’ Impératrice Eugénie. Le célèbre cuisinier sera aux fourneaux des Tuileries jusqu’en 1868

L’histoire a retenu les noms des principaux artisans et artistes qui ont participé à la renommée de Versailles. En revanche, combien de festins grandioses, de repas d’apparat ont-ils eu lieu dans ce château unique ? On n’en connaît ni la composition ou le nom de ceux qui les signèrent. Les menus qui ornent et décorent les tables du 19ème sont des reflets exceptionnels du mode de vie de leur époque. Figurèrent d’abord sur les menus, les plats du service à la française : tous les ingrédients sont disposés simultanément sur la table. Leur lecture est phénoménale. Suivit le service à la russe, où les plats se succèdent tels que nous les connaissons de nos jours de trois ou quatre services. Des cuisiniers de talent n’ont pas craint d’augmenter ce nombre dans le dernier quart du 20ème siècle. Jean-Pierre Bruneau, chef bruxellois tri-étoilé allumait les gourmets pour son menu à neuf services. Ferran Adrià, le chef du fameux El Bulli, créateur espagnol également tri-étoilé, annonçait perpétuellement complet en provoquant ses clients de son menu de trente bouchées. On peut considérer comme ultime évolution la tendance des chefs contemporains, surpuissants qui se limitent aux surprises d’un menu unique, soit-disant laissé, selon le maître d’hôtel, à la fantaisie et l’inspiration voire l’humeur du jour de son créateur. Je citerai un seul exemple, celui d’un établissement étoilé aux intitulés brefs à souhait, comme la tomate, le foie gras, le ris de veau, la figue. Succès total pour une clientèle qui accepte de se trouver sous emprise. La réservation a valeur d’acte de soumission. Les regrets sont laissés à l’appréciation des collectionneurs de menus que sont les libellocénophiles ou demissophiles, noms suggérés par Mme Caroline Poulain, directrice du musée de Dijon, les missuphiles selon Wikipedia, tandis que j’avoue une préférence pour la musicalité des menusphilistes.

Rendons grâces aux menus devenus des objets cultes, gardiens des souvenirs de mémorables événements festifs. Nous verrons très prochainement comment il aura fallu des décennies aux vins pour s’incorporer à ces repas aussi précieux que gourmands.

Jo GRYN

Histoire simplifiée du vignoble bourguignon

D’abord, au début, mais vraiment tout au début, il y a Noé. Œnophile à la réputation planétairement admise. Peut-être ampélographe. Sans doute œnologue avant la lettre. Enfin, promoteur de la planète vineuse. Un peu oublié. En tout cas universellement reconnu !

Retour historique

De nombreux auteurs se sont penché sur les débuts du vignoble bourguignon. Ils admettent tous son existence avant l’arrivée des Romains. Un centre important se situait près de Vienne, à une trentaine de kilomètres de Lyon.Le mystère persiste sur l’origine de ces vignobles et de leur encépagement. Encore plus de la nature de leurs sols. A quoi tient leur diversité ? Pourquoi les cépages syrah de Côte Rôtie et viognier de Condrieu, au sud de Lyon ont-ils fait place aux pinots noirs, chardonnays et gamays qui s’étendent de nos jours du nord de Lugdunum à Dijon et aux vignobles du Chablisien ? Le mystère reste entier.

Il est des secrets qu’on ne découvrira jamais, sauf que les géologues et pédologues nous expliquent que les études des sols montrent que les cépages bourguignons enfantent depuis toujours des vins de meilleure qualité que ceux situées au sud du Lyonnais. L’inverse est tout aussi vrai. Levons notre chapeau aux sens de l’observation de nos aïeux. On acceptera aisément que les belles collines autour d’Ampuis ont attiré tôt l’attention de ces lointains vignerons, au même titre que celles qui parcourent le Mâconnais et atteignent la Côte d’Or par la Saône et Loire.

La Côte d’Or


Empruntons cette route de Mercurey à Dijon qui épanouit les blancs et rouges qui font resplendir la Bourgogne aux quatre coins du monde vineux. Ce à quoi se résolurent les Romains pour des raisons diverses, notamment commerciales. Ont-ils préféré ces breuvages locaux à ceux qu’ils élaboraient eux-mêmes chez eux ? Les témoignages de Cicéron, de César, d’autres encore, sont précis.

Professeur au Collège de France, Roger Dion nous a livré une remarquable Histoire de la Vigne et du Vin en France, des origines au XIXème siècle (Flammarion 1977). Il signale, citant Cicéron, que « le droit de planter la vigne était réservé en Gaule aux hommes jouissant du droit de cité romaine. » On planta tant et plus, n’importe comment, n’importe où. Comment résister à la tentation de la plantation quand la vigne rapporte dix ou cent fois plus que la culture du blé. Les riches buvaient, les pauvres manquaient de pain ! En conséquence de quoi l’empereur Domitien publia en l’an 91 de notre ère un édit interdisant de nouvelles plantations. La suprématie des vins bourguignons et rhodaniens était trop forte, qualitativement parlant, sur les vins romains ! L’expansion du vignoble bourguignon subit cette malédiction impériale. Elle subsista près de deux cents ans, fut annulée en 281 lorsque l’empereur Probus leva cet interdit. Les grands vins de Bourgogne reprirent leur expansion commerciale, bénéficiant au surplus d’une volonté œnologique de limiter le gamay, cépage productif, aux seules terres beaujolaises.

Les communes aux noms composés

Le sens de l’observation de nos lointains aïeux est admirable. Il leur vint à l’esprit d’ajouter au nom de leur commune, le nom des parcelles qui leur fournissait le meilleur vin. Ainsi, à l’exception des communes proches de Dijon, Marsannay et Fixin, de Beaune et ses environs et, plus au sud, de Santenay, Gevrey devint Gevrey-Chambertin, Vosne s’adjoignit Romanée, Chambolle ajouta celui de Musigny en 1878 et ainsi de suite jusqu’à Chassagne et son fameux Montrachet.

Ces vins à la renommée célèbre se complètent d’autres noms. Ce sont des lieux-dits qu’on appelle les Climats, typiquement bourguignons. Ils parsèment, enrichissent, définissent notre connaissance.Leur origine est multiple, se répartit de diverses manières selon Marie-Hélène Landrieu-Lussigny qui y consacra son travail de fin d’études qu’une éditrice, Jeanne Laffitte, eut le bon ton de publier en 1983 :  « Le vignoble bourguignon – ses lieux-dits . » Un lieu-dit, nous apprend le Robert, est « un lieu de la campagne qui porte un nom traditionnel. » L’auteure en dénombre un millier. Certains tirent leur dénomination de la configuration des lieux, du relief, de la nature du sol, du climat, de la végétation. » D’autres, poursuit-elle, « indiquent les efforts des hommes pour défricher, cultiver, élever des animaux, planter de la vigne », d’autres encore, « conservent le souvenir d’une occupation très ancienne ou encore d’institutions féodales, de propriétaires ecclésiastiques ou particuliers ».

La hiérarchie ancienne

Ces lieux-dits sont reconnus pour ce qu’ils sont par les vignerons des différentes communes. Ils respectent une hiérarchie qu’ils tiennent de leurs parents et qu’ils ont transmis à leur descendance. On possède les prix de vente de différents crus depuis une dizaine de siècles. Ils sont établis selon les ventes à la queue. Celle-ci équivaut à deux tonneaux, soit 456 litres. Le tonneau, ainsi qu’on le nomme à l’époque, représente, avec ses 228 litres la barrique actuelle. M.J. Lavalle, docteur en médecine et ès sciences naturelles a publié en 1855 une très intéressante « Histoire et Statistique de la vigne et des grands vins de la Côte d’Or. »


Observons les prix de certains « climats » en 1660 :

Pour Saint-Georges, Cailles, Cras le tonneau vaut 48 livres, comme pour d’autres climats de Nuits. Vougeot rouge et blanc cote pareillement. Vosne, Chambolle et Morey (sans précision de climat) suivent à 45. L’arrière-Côtes rouge et blanc est à 27.

La hiérarchie s’affine cinquante plus tard : en 1711, après une récolte nulle en 1709 qui fait flamber les cours en 1710, les prix de 1711 sont 120 livres pour les Saint-Georges, 95 pour les autres climats de Nuits, 115 pour Vougeot, 100 pour Vosne, 80 pour Chambolle, 78 à Morey, 20 et 19 pour l’arrière-pays.

Les prix et la qualité se précisent lors de la décennie 1770 : 280 livres en 1783 pour Saint-Georges et Cailles, 200 pour les autres climats de Nuits. En revanche Clos de Vougeot rouge à 280 a rejoint la tête. Vosne se rapproche à 270, Chambolle à 200 devance Morey de 10 livres. L’arrière-pays stagne à 50. 

Une première classification

A ce travail de recherche, Lavalle nous livre une hiérarchie des communes. Prenons celle de Gevrey-Chambertin. Il distingue avec raison les vignobles du « bas de la côte et dans la plaine, exclusivement planté en gamet… dont nous ne dirons rien ! » Il distingue ensuite les vins des coteaux, de pinot noir, qu’il définit comme formant quatre classes ou qualités distinctes :

1) Tête de cuvée, cru hors ligne, vin extra ;

2) Première Cuvée de finage, vin de dessert ;

3) Deuxième id., vin d’entre-mets ;

4) Troisième cuvée de finage, grand ordinaire.

Il cite les propriétaires (je vous les épargne) de cette classification :

Tête de Cuvée : Chambertin

Première Cuvée de finage : Saint-Jacques et Clos Saint-Jacques, Fouchère, Chapelle, Mazy (haut), Ruchotte (du dessus), Charmes, Grillotte, Veroilles, Estournelles, Castiers (haut).

Deuxième Cuvée de finage : Mazy (bas), Chapelle (petite), Ruchotte (basse) Gemeaux, Charmes (bas), Mazoyères, Latricières, Echezeaux, Lavaux (haut).


On s’approche du classement des appellations d’origine contrôlée qui verra le jour au vingtième siècle ! Lavalle précise dans ce magnifique ouvrage qui fut réédité en 1972 par la Fondation Geisweiler et en 1999 par Bouchard Père et Fils que « la déclivité des coteaux présente de grandes inégalités dans la qualité de leurs produits.» Quant au Chambertin, dont « il est presque inutile d’en parler, puisque c’est celui dont la renommée est la plus populaire » il signale que ce climat se compose de deux parties, Chambertin et Clos de Bèze auxquelles il attribue la même qualité » ce que d’autres auteurs, plus tard, ne confirmeront pas trop, donnant une once de supériorité au Clos de Bèze.

Les Appellations d’Origine Contrôlée

La hiérarchie actuelle fut créée en 1936 et a connu peu de changements depuis. Le sommet qualitatif se nomme Grand Cru. Suit une série impressionnante de Premiers Crus qu’explique le morcellement impressionnant du vignoble bourguignon. Vient ensuite l’appellation simplement communale pour laquelle des vignerons de plus en plus exigeants sur la qualité individualisent un lieu-dit d’origine et le mentionnent sur leur étiquette. Un progrès notable.

Finale

Ultime moment de gloire pour la Bourgogne, la reconnaissance, par l’Unesco du caractère unique de la Côte viticole, de Dijon à Santenay, en passant par Beaune. Une date historique, celle du 4 juillet 2015.Comme une invitation aux Américains de célébrer leur jour de l’indépendance en compagnie des meilleurs crus de Bourgogne. Les climats sont littéralement enregistrés : « chaque climat est une parcelle de vigne qui possède son nom, son histoire, son goût et sa place dans la hiérarchie des crus. »

Cette reconnaissance, cette décision entraîne deux conséquences. Il n’y aura plus jamais l’acceptation d’un projet de train à grande vitesse pour dénaturer ces vignobles historiques. Il n’y aura sans doute plus de possibilité de « promotion » d’un Premier Cru au rang de Grand Cru. Ce sera tant pis pour les Gazetiers à Gevrey-Chambertin, les Saint-Georges à Nuits Saint-Georges, les Perrières à Meursault, tous tenus par Lavalle pour Tête de Cuvée. Sauf à perdre, peut-être, la reconnaissance de l’Unesco. Le jeu n’en vaut pas la chandelle.

Les dés sont jetés ad vitam æternam et c’est très ainsi.

Jo GRYN

Le grand Blanc des Blanc

Les Prémisses

Georges Blanc a fait partie d’un groupe de six jeunes chefs de la Bourgogne. C’était au mitan de la décennie 1970. Ces six-là, de Jean-Pierre Billoux à Bernard Loiseau, en passant par Lameloise, Lorrain, Meneau ont été au sommet de la gastronomie, participant de près à la mouvance, à la popularisation de la Nouvelle Cuisine initiée par Henri Gault et Christian Millau. Si ces restaurants subsistent et font flotter haut le pavillon de la gastronomie, les chefs ont disparu ou passé le témoin, à l’exception de Georges Blanc à Vonnas, au cœur de la Bresse. Je connais ce presque octogénaire depuis ses débuts. Solide et alerte, il a gardé des traits de jouvence sur son visage. En deux mots il a rejoint l’auberge familiale en 1965, prit les commande en 1970 et transforma du tout au tout et progressivement le restaurant d’antan en une structure hôtelière magnifique, telle qu’on la découvre aujourd’hui.

Un grand Blanc sur la route des vacances


Ma première visite remonte à 1980, chez La Mère Blanc ! Je ne résiste pas au plaisir de reproduire ces souvenirs de mon premier article: « Nulle part dans cette région on ne trouve autant de merveilleux produits locaux : grenouilles des Dombes, écrevisses, escargots, vaches charolaises, champignons des bois, fromages de chèvre du Maconnais…La bonne cuisine commence avec une sérieuse sélection des produits de qualité »

Rien n’a changé en 2020, si ce n’est que Georges Blanc indique sur son grand menu les noms de ses fournisseurs. L’établissement s’était déjà doté de « tout le raffinement hôtelier qui sublime un séjour à la campagne. » Les plats de 1980 s’éclataient. Je me limite à citer « la marinade de blanc de poularde de Bresse à l’infusion d’aromates colorée du jus réduit de volailles ; les cuisses de grenouilles tièdes, désossées, en sauce légèrement vinaigrée.  Je concluais qu’à 37 ans, il est sûr de lui et ambitieux, il est coté 2 étoiles au Michelin et vise la consécration suprême. Il la mérite largement. »

Cristal Blanc

Je ne pouvais mieux pronostiquer, Georges reçut la troisième étoile dans l’édition de 1981, tandis que GaultMillau le nommait Meilleur Cuisinier de l’année. La charmante grand place de Vonnas se remplit davantage de belles voitures venues de tous les coins de l’Europe. Je revins chez lui et écrivis un deuxième article rappelant que « Georges Blanc, petit fils de la mère Blanc a 37 ans, en paraît dix de moins…un maître d’oeuvre désireux d’égaler les meilleurs, les dépasser même, avec l’imagination de la jeunesse contrebalancée par une maturité certaine, un professionnalisme qui a prit le temps de se roder…La carte met en valeur toutes les facettes du cristal blanc. » J’eus le plaisir de constater ultérieurement que ses préparations étaient aussi sublimes que son sens de l’organisation.

Le bâtisseur

Il se découvrit une âme de bâtisseur, entoura la place de Vonnas de nouvelles, structures, fit revivre l’ancienne Auberge dans un décor d’époque avec une gastronomie bistrotière revisitée, créa un hôtel aux chambres moins luxueuses, un marché aux fleurs, un jardin d’herbes, une boutique de produits alimentaires augmentée de vins de la région, une deuxième dédiée au bien-être, se diversifia au fil des décennies, comme s ‘il ressentait le besoin de créer tant et plus. Il ouvrit un bistrot en face de Mâcon, un autre à Lyon, un hôtel restaurant à Romanèche-Thorins, un superbe Spa. J’oublie à coup sûr un autre établissement. Un point commun à tous : le succès. En plus de l’organisateur, du bâtisseur, il a le talent de la plume et a rédigé de nombreux livres de recettes, les siennes, comme pour prouver qu’il ne s’endort pas sur ses lauriers.

Oenophile et vigneron

On lui donna longtemps une apparence de jeunesse, visage d’adolescent aux joues roses converti à la maturité, calme et serein, pour qui rien ne semblait impossible. Il accepta que les dégustations que j’organisais pour le Spécial Vins du magazine GaultMillau se déroulaient dans une salle où je retrouvais une douzaine de vignerons, chefs oenophiles et sommeliers. Je n’ai jamais eu le moindre problème dans le déroulement des opérations éprouvant un plaisir réel de collaborer avec ce cuisinier oenophile.

Le plaisir vineux blanc de Georges

De mes séjours fréquents dans la Bresse bourguignonne, j’avais l’occasion de le rencontrer régulièrement. Un jour, en 1985, il m’apprit qu’il venait d’acquérir quelque 17 hectares de vignes dans le Mâconnais, à Azé. Il en était fier comme tout amoureux du vin qui possède son vignoble. Un vin en devenir comme il se devait et auquel le temps devait donner aux vignes l’épanouissement de la maturité. J’éprouve une fierté légitime d’avoir été un des premiers à parler des ceps de chardonnays de Azé qui ont évolué en Fleur d’Azenay, fleuron des vignes du Mâconnais. Depuis, par tradition autant que par amitié, je ne souhaite rien d’autre comme apéritif dans le trois étoiles ou comme boisson de repas à l’Auberge. Le vin possède aujourd’hui le potentiel maximal que peut donner ce terroir planté de chardonnays plus que trentenaires à pleine maturité.

Aujourd’hui

Un repas chez Georges Blanc est plus que jamais une fête à nulle autre pareille. Au sens de l’organisation et de ses talents multiples, il a le don de savoir s’entourer citant sur sa carte menu qu’il est secondé de trois chefs exécutifs, dont son fils Frédéric. Il se targue avec fierté et raison de partager avec Michel Guérard d’être l’un des deux plus anciens trois étoilés de France (et du monde). Ultime reconnaissance, celle d’avoir été nommé en 2019 Meilleur Ouvrier de France Honoris Causa. On l’aura compris, sa table pousse l’inégalable pouvoir de séduction de rester fidèle à une cuisine des multiples terroirs, entraînée dans un tourbillon de recettes renouvelées, améliorées. Il justifie cet aphorisme de Dumas que je cite de mémoire « Qu’importe de violer l’histoire si on lui fait de beaux enfants. » J’y pense, peut-être est-ce de ses mois passés à Vonnas que l’Espagnol Ferran Adrià (El Bulli) a retenu l’essentiel de sa cuisine exceptionnellement variée qui le récompensa du titre de « meilleur cuisinier du monde » en 2003?

Je suis retourné chez Blanc lors de la fenêtre ouverte pour les restaurants à l’été 2020. Retrouvée, la tradition en mouvement dès la lecture de la carte. Première surprise, après les « notes apéritives », une assiette de cuisses de grenouilles Rana Esculanta (ou Esculenta pour les puristes) sorties d’un bain de citronnade odorante. Tout gourmet de bonne foi ne peut que tomber sous la séduction de cette vague parfumée. Chanel 5 s’est trouvé une méchante concurrente! J’avoue ne pas être un inconditionnel de la truite, mais celle de Georges au safran pimenté m’a fait découvrir un plaisir gustatif inédit. Renouvelé avec ce homard au savagnin, innovation comme le fut le homard à la vanille d’Alain Senderens. Il existe des créations qui marquent les esprits. Le crustacé Blanc s’enrichit, se complète tout en jouant sur de fines oppositions apportées par la compagnie de ravioles à l’ail noir et de cannellonis colorés du corail de crustacé. Faire l’impasse sur l’emblématique poularde de Bresse peut être tenu comme un impolitesse. Tant pis, il faut oser l’infidélité sans regret ou remords, pour un pigeon dans une tourte marbrée de foie gras, à la stupéfiante poivrade à la syrah enrichie de condiments divers. Je pourrais continuer avec la ronde des fromages qui cohabitent sur le chariot, se pâmer à la lecture de la carte des desserts, succomber de bonheur gourmand sur le café glacé à la chartreuse verte tracée de caramel. Georges Blanc a ce doigté de renouveler notre sens du goût. Oui, chez lui, le bonheur se répand assiette après assiette.

Jo Gryn

Bordeaux rouges Grands millésimes

J’ai contacté des professionnels que je tiens pour des dégustateurs d’une extrême compétence en leur demandant quels étaient leurs trois millésimes préférés du vingtième siècle, entre 1945 inclus et 1999 pour être précis. Ils ont tous l’expérience de ces vins, ont tous dégusté des dizaines de milliers de ces bouteilles. Ils en ont produits, conseillés, écrits, commentés. Leurs avis sont précieux, variés, parfois inattendus. Je les remercie vivement d’avoir répondu.


L’avis des experts

L’ordre alphabétique donne le premier mot à Hervé Berland, directeur du Château Montrose. Pas simple annonce-t-il en préambule, à cause « des écarts entre rive gauche et rive droite. » Sa réponse: 1953, 1959, 1990 car « dans ces millésimes-là, tout le monde a fait un très grand vin. »

Modèle à cloche

Fondateur et rédacteur en chef du Guide Bettane + Desseauve, Michel Bettane figure à coup sûr comme le journaliste français le plus fiable et le plus écouté . Son tiercé est 1949, 1959 et 1982. Il place ensuite 1952, 1953 et 1989.

La brosse enlève les impuretés ou déchets de bouchon


Auteur prolifique, Pierre Casamayor est le doyen des chroniqueurs, toujours en activité à la Revue du Vin de France à laquelle il collabore depuis des décennies. L’oeil vif, le jugement sans équivoque, ce physicien oenologue qui fut également professeur est un as de la vulgarisation. Je ne pouvais pas ne pas m’adresser à lui. Son tiercé comporte plus de trois vins. Il précise: « Je pense que les grands millésimes de Bordeaux vont par deux, en reflétant les tendances de l’époque. »
« 1945 et 1947 dans l’euphorie de la victoire et du retour des conditions techniques. 1959 et 1961 après des années faiblardes et par contraste peut-être les meilleurs millésimes du siècle. Seul le 1982 se trouve un peu esseulé, mais il y a eu en cette année chaude beaucoup d’accidents de vinification. 1989 et 1990 où l’on commence à sentir l’influence de la critique américaine et où les chais d’architectes commencent à coloniser le paysage. »
Merci Pierre pour ce résumé d’anthologie. Je l’ai relancé pour se limiter à trois millésimes, à titre de l’ami qu’il est. Il était au début de ce siècle le doyen de la faculté d’oenologie et m’avait proposé de collaborer à la réécriture de l’Anthologie des Vins et Alcools d’Alexis Lichine comme si lui, l’empereur, me décernait un bâton de maréchal. Son tiercé final est 1947, 1961 et 1990. La prochaine fois que nous nous verrons je lui marquerai mon accord sur les deux premiers et lui ferai valoir d’autres charmes inégalables, ceux des des 1982 et des 1989. Bouteilles à l’appui.

C’est aussi et surtout un tire-bouchon pour gaucher!


Jean-Michel Cazes (Château Lynch-Bages) cite 1959,1982 et 1989 en trio de tête, suivi des 1955, 1990 et 1962. « Tous ces millésimes montrent un équilibre parfait, de la vigueur alliée à la finesse et un grand potentiel de vieillissement. Peut-être faudrait-il ajouter 1945, 1947 et 1948 que certains évoquent aussi beaucoup. »

Boîte à outils avec l’Indispensable


Ancien directeur technique du Château Lafite et du Château Rieussec, Charles Chevallier devenu un retraité, doré du prestigieux titre d’Ambassadeur des Domaines Barons de Rothschild cite, « pas forcément dans l’ordre » 1953, 1986 et 1996.

Directeur général délégué du Domaine Clarence Dillon (Haut-Brion), Jean-Philippe Delmas cite deux paires, les 1959 et 1961, puis 1989 et 1990.


Homme protéiforme, j’ai rencontré Philippe Faure-Brac quand il fut sacré Meilleur Sommelier du Monde. Il n’a pas attrapé pour autant la grosse tête, a ouvert un chouette bistro à Paris, La Table du Sommelier riche d’une cave digne d’un trois étoiles, a publié plusieurs livres, s’est dévoué pour que soit officiellement reconnu le titre de sommelier en tant que Meilleur Ouvrier de France. Et pour déposer un beau bouchon sur le magnum, c’est un homme charmant. Ses trois meilleurs millésimes: 1959, 1961, 1982. Il a ajouté ses trois meilleurs Bordeaux de cette époque, Mouton-Rothschild 1945, Cheval Blanc 1947 et Lafite 1959. Qui dit mieux?

Tire-bouchon de voyage, démonté

Je veux vous présenter Fiona Morrison que j’ai rencontrée à plusieurs reprises dans les vignes bordelaises. Elle était une des rares Master of Wine, un diplôme gagné haut la main en 1994, une époque où rares étaient les femmes qui pouvaient se targuer de placer M.W. à côté de leur signature. Il faut lui faire entière confiance dans l’analyse qu’elle a eu l’amabilité de me fournir. Avec une introduction que nous partagerons sans réticence: « Les grands vins de 2019 n’ont rien à voir avec les grands vins de 1959. Après 1945, c’est surtout le 1947 qui continue à séduire avec son fruit si riche, sa texture veloutée et les niveaux d’alcool jamais vus. Personnellement je préfère le 1959 à 1961, avec davantage de grands vins sur les deux rives et la classe de vins comme Pétrus, Vieux Château Certan, Lafite et Léoville Las Cases est grandiose. Ce premier millésime chaud a servi ensuite à expliquer pourquoi le 1982 a été un si grand succès. Bordeaux avait, après 1982, enfin les moyens d’améliorer les vignes et les chais jusqu’au point que nous pouvons presque dire qu’il n’y a plus de mauvais millésime dans le Bordelais. » Pressée par moi de me donner son podium, elle se livre: 1947, 1959 et 1990.

Le même monté


Figure incontournable du Libournais, directeur des Etablissements Jean-Pierre Moueix, Christian Moueix annonce le tiercé suivant: 1947, 1961, 1989. Il ne cache pas son classement du siècle actuel, avec 2018, 2019 et 2020 « tant Bordeaux profite du réchauffement. »


Sommelier pendant des décennies à La Tour d’Argent, ce restaurant dont les caves recèlent des dizaines de milliers de bouteilles, David Ridgway donne le tiercé 1945, 1961 et 1982 « des vins presque trop grands, voire trop classiques. » Il complète sa liste de 1953 et 1966, « millésimes qui m’ont toujours donné beaucoup de plaisir. » Plus 1985, « qui n’est peut-être pas un grand millésime, mais possède une très grande buvabilité. »Responsable des vins de l’e-boutique du restaurant, il nous donne les prix ahurissants suivants pour des 1961 qu’il a dégustés à plusieurs reprises ces deux dernières décennies: 22 825 euros pour les Haut-Brion et Latour, Montrose à 5 470 euros, La Conseillante 6 740 euros et indique ne pas tarir d’éloges sur eux.

La pointe pour casse la cire

Oenologue conseil reconnu dans le monde viticole, ayant travaillé comme consultant dans une quinzaine de pays, Michel Rolland, également propriétaire à Pomerol, convient volontiers que « c’est dur de faire un choix de trois millésimes sur les 45 proposés » et ajoute comme pour se faire pardonner que « cela n’engage que moi,«  avançant1945, 1961 et 1982 auxquels il attribue cinq étoiles, puis un deuxième trio, juste derrière, avec 1947, 1989 et 1990. Sa mémoire des meilleurs vins de ces quarante-cinq millésimes comprend Mouton-Rothschild 1945, Pétrus 1947 , Latour 1982, Cheval Blanc 1989 et Haut-Brion 1990. Un palmarès qu’enviera tout oenophile digne de ce nom.

Modèle fréquent avec l’ancre

Elle est l’âme et la directrice de Haut-Bailly, ce cru classé de Graves auquel elle confère un charme incomparable, supplémentaire, quasiment unique. Véronique Sanders fait corps avec son terroir et retient « 1961 pour l’élégance, la longévité, la fraîcheur de ce millésime qui ne se lasse pas de nous surprendre, 1990 pour la puissance et la complexité d’un millésime solaire, 1998 pour les vins de notre appellation, avec les plus beaux merlots produits soutenus par des cabernets d’une très grande trame. »

En tête de clown


Officiellement cuisinier-restaurateur, j’ai connu Robert Vifian comme un fort bon dégustateur dans les années 1980. Il est devenu, depuis, un des dégustateurs à briller dans le monde, à l’égal de Robert Parker. Collectionneur d’art contemporain, il se plonge sans souci dans la connaissance des vieux bordeaux comme des tableaux de notre époque et cite 1949, 1959, 1990 puis 1961 qu’il avait préalablement placé dans son tiercé.

Conclusions


Une première évidence. La qualité moyenne a sensiblement augmenté au fil des décennies et les millésimes médiocres se font denrée rare à la différence des bons. Ceux-là se boivent sans mal, ils sont d’une « buvabilité » acceptable, ne créent ni maux de tête, ni aigreur ; ceux-ci procurent des plaisirs imprévus. Quels sont ceux du siècle dernier qu’on tient pour « immortels ? »

Que j’adjoigne ou non mon tiercé (1959,1961 et 1982) suivi du trio composé de 1947, 1989 et 1990, les conclusions à tirer sont relativement simples. Le quatuor qui forme les « immortels » englobe 1959,1961, 1982 et 1990 tandis que 1947 se place au pied du podium. A une exception près (les 1970) chacune des décennies a eu moins son « éternel. » Le siècle en cours comporte déjà autant de diamants d’exception que les quarante-cinq millésimes que nous avons parcourus ensemble.

Chaque décennie possède deux ou trois diamants. Il n’en reste pas moins qu’après les 1961 et 1966 on dû attendre seize ans pour retrouver un millésime d’une aura exceptionnelle. Entre les deux le médiocre enchaînait les catastrophe climatiques. « Ils étaient ce qu’ils furent et on les a bus », aimait à rappeler Robert Goffard. Les 1982 gardent près de quarante ans après leur naissance une aura exceptionnelle. De cette décennie 80, je garde un faible pour les 1985. Elle s’enrichit des 1989 d’un charme voluptueux qui leur est propre.
La décennie suivante s’ouvrit sur le majestueux 1990. Les 1995 me laissent plus que de bonnes surprises. Je tiens ce millésime comme celui de mes coups de cœur, principalement pour les Saint-Emilion et Pomerols, riches à l’image des 1998. Ces millésimes ont de grosses cotes dans les salles de ventes. Et si le 2000 fait partie du siècle nouveau, il possède la magie attribuée à ce millésime unique par ses trois zéros, premier d’une splendide longue série qui en a enfanté déjà énormément en vingt ans.

Jo GRYN

Bordeaux rouges de 1945 à 1999

Quels sont les grands millésimes? Comment définir les « grands vins »? Et, autrement dit, comment classer les millésimes selon une hiérarchie acceptable par tous? Cette question trouve une réponse éminemment subjective. Acceptons une approche en hiérarchisant les vins et les millésimes en trois catégories, les médiocres (nombreux au vingtième siècle), les moyens (de plus en plus fréquents dans ce vingtième siècle), les grands ou très grands, mémorables, exceptionnels. Ce dernier échelon de la hiérarchie comporte déjà, on le voit, différents niveaux de qualification. Je garderai la définition que Robert Goffard m’a donnée: « le grand vin est celui qui a une aptitude à vieillir », ce qui sous-entend qu’il sera grandiose de sa naissance à la vieillesse. Je n’ose évoquer leur immortalité. Un retour en arrière sur les millésimes de la deuxième moitié du vingtième siècle peut aider à la compréhension, surtout si on se réfère aux conditions météorologiques, encore que le marché du vin lié partiellement à l’économie et à la politique s’ajoutent à la partition. Par comparaison, les souvenirs personnels pèsent peu.

La deuxième moitié de la décennie 1940.

Curieusement les millésimes bordelais des guerres 14-18 et 40-45 sont d’une indigente pauvreté, à l’exception de 1945, encore que la Gironde avait bel et bien été libérée. Des prisonniers allemands eurent « la chance » d’être requis pour des vendanges fortement réduites suites à une méchante gelée des 1er et 2 mai. Les Premiers Crus, Mouton-Rothschild en tête, tirèrent bien plus que leur épingle du jeu pour donner une image très (trop?) positive au millésime. Il a plu sans arrêt en août 1946, temps froid à l’appui.  On les nota « un peu verts, un peu creux. » Ils furent vite oubliés. 1947 fut une année aux journées d’été extrêmement chaudes et des vendanges précoces du 15 septembre. Ceux qui ont dégusté les Premiers ne tarissent pas d’éloges sur eux et Cheval Blanc est resté longtemps légendaire. Michel Dovaz dans ses Grands Vins du siècle rappelle que pour son élevage, le vin fut « logé dans des barriques de cinq à dix ans d’âge! » Les notes de l’époque notent, pour 1948, qu’après les craintes climatiques d’août et début septembre, il ne tomba pas une goutte d’eau entre la mi-septembre et la mi-octobre. René Pijassou cite Lawton pour qui ce sont « des vins sains et qui seront utiles. » On les a bus sans beaucoup en parler. Peu d’enthousiasme pour les vendanges de fin septembre et début octobre pour les 1949. Des cuvées, cependant, de fort belle qualité avec un mémorable Château Margaux. D’autres réussites extrêmes ont satisfait ceux qui ont pu les garder une trentaine d’années. On retiendra que ce fut un millésime de fort belle tenue.

En forme de bouteille de champagne

 La décennie 1950

En 1950 la récolte fut abondante. Des vins « bons sans atteindre la qualité des 1945, 1947, 1949 » commenta Lawton. Des pluies sans arrêt en 1951 et on put chaptaliser. Guère de commentaires eux comme sur les 1952 qui connurent cependant un bon succès. Sans discussion possible, 1953 est le dauphin de la décennie. Du beau temps pendant toute le durée des vendanges amenèrent des raisins à maturité simultanément à une demande accrue à mettre en parallèle à une prospérité économique revenue. De fort belles notes de dégustation trente ans après leur naissance en témoignent, ce qui n’est pas vraiment le cas pour des 1954, maltraités par les eaux de septembre. On a peu parlé des 1955, bonne année, troisième sur le podium de la décennie. C’est un millésime passé aux oubliettes, peut-être injustement. Mémorable à cause de ses suites: 1956 et les gelées historiques de février. On dépassa allègrement les moins 10 degrés. Les ceps ne résistèrent pas. « Une hécatombe » selon. J.P. Gardère au Château Latour. Pire encore, des gelées printanières en avril et mai 1957 contribuèrent à l’anéantissement des pieds qui avaient survécu l’année précédente. Pijassou écrit que « de 1956 à 1958, le vignoble médocain avait produit à peine une récolte de demie. » Je n’ai quasiment aucune note de dégustation intéressante sur ces millésimes. Du beau temps, en veux-tu en voilà en 1959, avec ce qu’il faut d’averses bienfaisantes. J.P. Gardère, s’exclame dès les vendanges: « un climat exceptionnel a préparé durant juillet et août l’avènement d’un grand millésime. » Une petite récolte allait les rendre encore plus désirables. Je me souviens d’une superbe soirée dégustation, ou se côtoyèrent en point d’orgue et à l’aveugle, Haut-Brion exceptionnel de finesse, Latour dans l’excellence et la puissance que peut donner le cépage cabernet sauvignon, Mouton-Rothschild qui combinait ces deux caractères. Et, en d’autres occasions, mémorables furent Margaux, Pétrus et tant d’autres.

Aide à l’ouverture d’une bouteille de champagne

La décennie 1960

Un premier millésime noyé sous la pluie. Rares dégustations, notes correctes pour Ausone, Cheval Blanc et Mouton-Rothschild. J’ai parlé du millésime 1961, vous lirez dans le prochain article les choix des experts. Des qualités inégales en 1962, avec quelques bons souvenirs, mais ils n’ont pas vraiment défrayé la chronique. Gelées hivernales en 1963, mauvais temps printanier, pluies et pourriture estivale. On l’oublie, comme les vendanges mouillées de 1964, encore que comme souvent les Premiers s’en sortent, ce qui semble aller de pair avec la « création » ici et là des Deuxièmes Vins. De l’eau et des raisins qui n’ont pas mûri ou ont pourri pour résumer 1965. On n’a pas assez souligné la qualité des 1966, voire à un degré nettement moindre des 1967. Signe des temps: les Forts de Latour sont créés avec 1966. Médiocrité et froidures de 1968. Forte demande inattendue des acheteurs pour 1969. Ses deux derniers chiffres n’y sont pour rien.

La décennie 1970

Une décennie quasiment noire. Je préfère ne pas m’étendre dessus sauf à répéter ce que confièrent quelques négociants: « Et pourtant on les a bus. » On retiendra la rumeur qui lança 1975 comme un « grand » millésime après le tristesse des 1972, 1973, 1974. Sécheresse historique de 1976, sans que le mot de canicule fût prononcé. On passe sous silence les trois derniers millésimes de cette décennie. On retient toutefois deux événements médiatiques liés, un hommage rendu au professeur Emile Peynaud en 1977 et la publication de son livre « Le Goût du Vin » deux ans plus tard. De plus, les Etats-Unis sont devenus depuis le début de la décennie de très gros acheteurs de vins de Bordeaux, surtout des appellations communales du Médoc.

Le recto ou le verso pour ce tire-bouchon publicitaire

La décennie 1980

Une qualité médiocre, des vendanges tardives (13 octobre) lancent la décennie. Suit un mieux en 1981: on se contentera d’une qualité moyenne. Vient enfin du vrai beau temps dès le mois de mars 1982. La vigne en profite amplement. On se dirige vers une récolte mirifique en qualité et quantité. Des conditions idéales de vendanges dès la mi-septembre. Les raisins de cabernets et merlots filent un amour parfait. Bernard Nicolas (La Conseillante) confie au courtier Tastet Lawton qu’il compare 1982 à 1947. Pour Bruno Prats (Cos d’Estournel) 1982 est le meilleur millésime qu’il a connu! Un jeune chroniqueur américain, Robert Parker, s’enthousiasme sans la moindre réserve dans The Wine Advocate. Une note de 19 sur 20 est un minimum dans les dégustations de l’époque comme les actuelles. On jubile . On n’oublie pas qu’on attendait du superlatif depuis 1961. D’une d’une fort belle qualité, 1983 donne des vins puissants qui restent cependant dans l’ombre du millésime précédent. Le beau temps n’est pas éternel: croix noire sur 1984. Les acheteurs traditionnels ne sont pas demandeurs. La grande distribution en profite, saute sur cette opportunité qu’elle n’abandonnera plus. Des vendanges dans de fort bonnes conditions enfantent des 1985 complets, de grande qualité, dans l’ombre des 1982, mais ils n’ont pas pris une ride. 1986 s’aligne comme un millésime « classique », à l’ancienne ce qui n’a rien de péjoratif. On les a oubliés ou bus. De belles notes de dégustations après leur mise en bouteilles me donneraient envie de les retrouver. Une climatologie trop irrégulière en 1987 pour laisser de bons souvenirs. Par contraste 1988 naît sous de bons auspices et est reconnu dans les années qui suivent comme la première des trois glorieuses, sans cependant les égaler, sauf dans le Libournais. Du beau temps dès février en 1989, de la chaleur en excès en été, de la canicule pendant Vinexpo. La vigne surmonte les aléas climatiques et donne un millésime fameux: élégance, de la chair, du gras, de l’appétence à souhait pour clore la décennie. Les vins ont gardé aujourd’hui les caractéristiques de leur naissance.

Sommeliers de marques de champagne

La décennie 1990

Sonnez, trompettes de la renommée: 1990 clôt en beauté les Trois Glorieuses. De petites averses entre des jours de vendanges en bras de chemise. Fut vite considéré comme un des très grands millésimes . Lui succéda un millésime « enterré » par une forte gelée le 21 avril 1991. La maigre récolte laisse peu de souvenirs. Suivent, à nouveau, trois années qu’on n’a pas envie de câliner, encore que certains ont voulu croire aux 1994. Par contraste 1995, millésime de petit rendement, s’offre aux amateurs sans la moindre réticence et garde son élégance au fil des années. Nombreux coups de coeur dans toutes les appellations! On revient à un certain classicisme avec les 1996 et on mise assez fort sur la qualité des 1997 ce que ne confirmera pas leur tenue ultérieure. D’autant plus que 1998 a connu un mois d’août très peu arrosé, en contraste avec des vendanges de type pluvieux. On apprécie ces vins favorablement soutenus par de splendides merlots. On « ferme » le siècle par un millésime sauvé, comme beaucoup d’autres depuis deux à trois décennies, par le savoir-faire des oenologues de terrain et le sérieux des propriétaires: on n’a plus le droit, sauf catastrophes climatiques, d’élaborer des vins médiocres et on y parvient sans trop de mal. L’évolution qualitative, liée au réchauffement climatique, a été exponentielle. Et spectaculaire.

Coupe muselet pour bouteille de champagne

A suivre, dans quelques jours, l’avis des experts.

Jo GRYN

 

Les Bordeaux de 1961

Les Prémisses

En 1979 le vin commençait à peine à faire parler de lui, médiatiquement s’entend. On m’affirmait, sans que j’y croie vraiment, que les dégustations n’existaient pas. Les notables possédaient certes des caves mirifiques, mais on buvait entre soi, en famille. Une des premières séances publiques, médiatisées eut lieu en Suède dans les années 1970. Des 1961 furent passés au crible et on en parla dans quelques revues spécialisées. Effet bénéfique de la médiatisation, un grand amateur belge bien pourvu dans ce millésime se montra jaloux et en organisa une à son tour.

Convié par chance autant que par hasard, je rencontrai ce « pourvoyeur » de bouteilles, un industriel flamand qui m’expliqua avoir longuement réfléchi au millésime unique qu’il allait soumettre aux papilles d’un jury de dix-huit personnes.


Il avait écarté les 1945 et 1947, jugés d’une autre époque, les 1970 « trop jeunes ». Restaient en lice les 1966, 1964 et 1961. Ce dernier, un des meilleurs de l’après-guerre fut retenu, comme celui de la dégustation suédoise dont j’avoue que j’ignorais presque tout. C’était déjà un millésime historique dans le Bordelais.

Remontée dans le temps

Les relations entre la propriété et le négoce, par l’intermédiaire des courtiers, empreintes des plus larges sourires de façade ont toujours été un combat d’influence entre les deux parties. On était loin du vin moderne à cette époque. Dans les années 50 on achetait un cru classé de Bordeaux pour une bouchée de pain et un beau Bourgogne pour une poignée de riz. La propriété souffrait, le négoce faisait la loi et pesait de sa puissance commerciale sur la propriété. La mise en bouteilles au domaine était loin d’être généralisée, malgré les efforts du baron Philippe de Rothschild qui la prônait depuis les années 1920.

Il faut se remémorer que les négociants vendaient les vins de leur mise comme ce fut le cas pour les grands Pomerols des Ets. J.-P. Moueix. Il fallut attendre la fin de la décennie 60 pourque la mise à la propriété soit généralisée. Les différences de qualité s’avérèrent sensibles. Je me souviens d’une dégustation à l’aveugle de cinq bouteilles de Pétrus dans le millésime 1947. Par sa qualité nettement supérieure, la mise à la propriété ne laissa aucun doute…

Une impayable rareté

Autre rappel d’importance. Le négoce bordelais avait, dans les années 50, le privilège d’acheter « sur souche », dès le printemps, lorsque la campagne commerciale du millésime précédent était terminée. Les propriétaires heureux de vendre des vins au printemps à vendanger à l’automne savaient qu’ils allaient pouvoir survivre.

Le Climat

Oui, mais. Le printemps de 1961 fut atroce. Fin avril, le négociant Tastet et Lawton note qu’on « commence… à trouver qu’il a assez plu. » Le temps devint superbe et le négociant écrit le 10 mai que « les gelées ne sont plus à craindre. » Malheureusement, quinze jours plus tard, des trombes d’eau s’accompagnent d’un sérieux refroidissement provoquant une coulure intense. L’Anglais Michael Broadbent certainement le meilleur expert et connaisseur des vins de l’autre siècle raconte la suite ; « Il plut en juillet, trop tôt pour faire gonfler les raisins restants, et août fut au contraire extrêmement sec. Toute l’énergie nourricière du sol se concentra sur des raisins petits et peu nombreux. Enfin, un mois de septembre ensoleillé amena les fruits à pleine maturité et permit aux peaux de prendre un peu d’épaisseur. » Jugement de Tastet et Lawton dès le 19 septembre : « les propriétaires qui récoltent cette année la moitié de la récolte de l’an dernier seront les plus heureux. » Un grand millésime était né, mais avec un faible volume, « 43,7% seulement de la récolte de 1960… » note le professeur René Pijassou, auteur du remarquable ouvrage Un Grand Vignoble de Qualité – Le Médoc.

La propriété ne put fournir les vins qu’elle avait vendus au printemps. Ce fut la fin de la vente sur souche. Et les prix grimpèrent. Les Premiers Crus se vendirent au double de la cotation des 1960. Le vignoble bordelais en général, le médocain en particulier, avait pris son essor. Malgré des baisses normales dues à des qualités exécrables et des événements politiques mondiaux, les prix n’ont cessé de grimper depuis. Hélas.

Les 1961

Le lauréat de cette dégustation

On n’avait aucune habitude des dégustations à l’époque. On ne dégusta pas les vins à l’aveugle, on procéda néanmoins, appellation après appellation et je n’ai pas retenu la liste des nombreux crus, une trentaine, qui furent proposés à nos papilles. Nous fûmes certainement influencés par l’étiquette et les points des dégustateurs en témoignent. Il n’en reste pas moins que le classement des préférés sur tant de vins dégustés reste d’actualité.

Le voici dans l’ordre : Mouton-Rothschild, Pétrus, Margaux, Latour-à-Pomerol, Palmer, Cos d’Estournel, Figeac, Pichon Longueville Baron, Trotanoy, Calon-Ségur, Gruaud-Larose, Magdelaine. J’estime avec le recul, que la connaissance des crus a influencé une partie de dégustateurs et j’accepte sans honte de faire partie de ce groupe. Il n’empêche que la place de Latour-à-Pomerol fut une énorme surprise, une découverte. Le cru gagna à mes yeux la palme du meilleur rapport qualité-prix.

Le meilleur rapport qualité prix

Ces vins-là, aujourd’hui, sont d’une extrême rareté. On les propose occasionnellement dans les galeries anglaises. Ils s’enlèvent à des prix astronomiques. Snobisme de grands fortunés ? A coup sûr. Ont-ils gardé cette immortelle fraîcheur de jeunesse qu’on leur assurait? Nous en reparlerons bientôt, sans négliger les autres millésimes mémorables de la deuxième moitié du vingtième siècle, avec une parenthèse sur ceux qu’on a gommés de nos mémoires, non sans raison. A très bientôt.

Jo GRYN

PS (pour Petit Supplément)

Drinkability et Buvabilité

Les Anglais utilisent couramment ce terme pour désigner un vin correct, buvable, présent, agréable, facile. Je le traduis par buvabilité, néologisme qui dit bien ce qu’il veut dire et auquel Bernard Pivot m’a dit un jour qu’il ne l’aimait pas car ne sonnant pas musicalement à ses oreilles. Cela ne m’interdit pas de l’utiliser de temps à autre.